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par M. Philippe Kerr, secrétaire de M. Lloyd George, et que la réponse des Puissances alliées et associées aux remarques de la Délégation autrichienne sur les conditions de paix. Ce deuxième traité n’est guère moins long que le premier : 381 articles, au lieu de 440. Encore ne jurerait-on pas qu’il est complet, et même il saute aux yeux qu’il ne l’est point. L’aveu s’en trouve à l’article 36, qui vise « la frontière orientale de l’Italie telle qu’elle sera ultérieurement fixée. » Du même coup, la frontière occidentale de l’État serbo-croato-slovène reste indéterminée. Mais l’indétermination de cette frontière laisse en suspens la question de Fiume, qui laisse non résolue la question de l’Adriatique.

Il est à relever que les Puissances alliées et associées ont consenti à sanctionner, dans le Traité avec l’Autriche, des considérations que quelques-unes d’entre elles s’étaient obstinées à ignorer dans le Traité avec l’Allemagne. Elles veulent bien reconnaître là des droits historiques et connaître des motifs stratégiques qu’elles avaient ailleurs déclarés nuls et non avenus. Le peuple italien obtient d’être préservé, « par la frontière naturelle des Alpes qu’il revendique depuis si longtemps, » de « la menace intentionnellement dirigée contre sa vie même. » Les Puissances alliées et associées l’autorisent à dresser dans toute sa hauteur et toute son épaisseur le rempart de rocs et de glaces que la nature, selon le mot du poète, a mis entre lui et la rage allemande. Mais d’autres peuples, eux aussi, se voyaient exposés à « une menace intentionnellement dirigée contre leur vie même ; » d’autres peuples, eux aussi, possèdent « des plaines commandées par des positions militaires avancées ; » d’autres peuples, eux aussi, sont au contact de la rage allemande, et de la rage prussienne, plus féroce, plus tenace que la rage autrichienne ; d’autres peuples, eux aussi, ont « des frontières naturelles qu’ils revendiquent depuis longtemps. »

N’ont-ils pas su parler, ou plutôt n’a-t-on pas voulu les entendre ? La même école qui néglige l’histoire méprise l’ancienne diplomatie, qu’elle n’est pas loin de juger aussi ridicule qu’odieuse. Il n’empêche que, tant qu’il y aura une diplomatie, sa qualité se marquera par ses résultats. « Machiavel ! dit-on, c’est bien vieux ! » et comme s’il y avait une place à prendre, on s’essaie à poser les régies du nouveau jeu. Mais, dans le même moment, un philosophe remarquait que, sous le couvert de l’idéalisme, du libéralisme et de la démocratie, ce temps, acharné aux affaires, affamé de bénéfices comme d’autres le furent de conquêtes, avait conservé quelque