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pense qu’on puisse encore arrêter ou retarder le mouvement qui emporte l’Allemagne, par une concentration croissante, vers une unité accrue. On le pourrait, qu’il n’est pas sûr que son orthodoxie socialiste s’en accommoderait. Nous en avons, il y a vingt ans, recueilli l’aveu de la bouche de Victor Adler : il faut au socialisme pour se développer à l’aise, l’unité de la nation, politiquement, comme il lui faut, économiquement, la concentration du capital : la thèse socialiste est essentiellement unitaire. Mais M. Albert Thomas a la conviction que, quoi qu’on eût fait, l’unité allemande serait sortie renforcée de la guerre. Néanmoins, il doit y avoir, même dans une Allemagne plus fortement unie, quelque chose à faire, mais quoi ? « Monsieur le président du Conseil, je vous pose la question : Quelle est la politique que vous suivrez pour faire donner au traité tout ce qu’il contient ? La politique du passé, la politique des alliances, la politique dangereuse de l’équilibre, ou la politique loyale et féconde de la Société des nations où nous voyons aujourd’hui le salut de la France ? » Si cette question était une conclusion, elle pourrait sembler un peu floue.

D’autant plus, que c’est loin d’être uniquement en Rhénanie et en Allemagne que la paix de Versailles nous oblige à avoir une politique. Dans le Traité, la politique territoriale des Puissances alliées et associées paraît avoir été guidée par deux idées : en Occident, les Alliances qui, suppléant aux garanties d’ordre militaire, permettraient d’attendre le plein épanouissement de la Société des Nations ; en Orient, dans le plus prochain Orient, c’est-à-dire dans la moitié orientale de l’Europe, une ceinture d’États passée autour du corps de l’Allemagne et l’empêchant de remuer les bras pour une nouvelle agression.

A la lumière de ces deux idées directrices, regardons une carte d’Europe, remaniée d’après le Traité. L’Allemagne ne subit, à son tour, aucune mutilation dans sa chair, dans de la chair allemande. A l’Ouest, sur la frontière belge, ce qu’elle cède, Moresnet, Eupen Malmédy, est, comme territoire et population, un atome. Plus bas, dans le bassin de la Sarre, elle ne cède présentement que les mines ; en Alsace-Lorraine, elle ne restitue que son dernier larcin. Au Sud, sa frontière n’est pas touchée avant le saillant de Neustadt, autrement dit avant les limites de la Haute Silésie. A l’Est, elle abandonne de vastes parties de la Posnanie, de la Prusse occidentale, de la Prusse orientale. On reconstitue à ses dépens une Pologne, on constitue une région de Memel. Au Nord, on érige Dantzig en ville libre ; on rend la parole au Slesvig, qui. malgré les traités, ne l’avait pas eue, et qui n’avait été « germanisé » que par la force.