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pour veiller aux distributions dont je suis spécialement chargé. » Il est fort occupé, à l’en croire ; il a tout un plan de campagne offensive. « Je voudrais, écrit-il, que nous nous emparions de Kehl pour protéger le commerce de l’Alsace qui souffre beaucoup de l’interruption du pont. Nos batteries sont établies, un bataillon de grenadiers nationaux est campé à côté et ils brûlent de se mesurer avec l’ennemi. Toute l’armée est dans les mêmes sentiments. J’ai été hier visiter les batteries et je ne les trouve pas assez nombreuses. J’ai persécuté M. de Broglie pour engager M. de la Morlière à donner un ordre pour les augmenter et il a été donné. » Mais il a bien d’autres projets : « Je prêche, écrit-il, pour que l’on forme une compagnie d’arquebusiers, ce qui nous serait bien nécessaire dans ce pays-ci. J’ai écrit pour m’informer si ceux de Dole et des villes voisines voudraient se rassembler pour former ma compagnie. Je ferais pourvoir à tous leurs besoins, mais il parait que l’on n’est pas disposé. Si je croyais que ma présence fût nécessaire pour cela, je crois que j’obtiendrais un congé de quelques semaines. » Au fait, les carreaux d’arquebuse vaudraient les javelots comme armes de jet : et ne va-t-on pas tout à l’heure mettre la pique à l’ordre du jour ?

Par malheur, on n’écoute pas toujours Malet. Le général en chef n’a point fait canonner les batteries que les ennemis avaient établies tout en face et qui ne sont séparées des nôtres que par le Rhin : le général en chef a fait rompre le pont de notre côté, « ce qui m’a fait beaucoup de peine, » écrit Malet, et il en tire des conséquences : « M. de la Morlière est un honnête homme qui veut le bien et qui fait tout ce qui dépend de lui pour l’opérer ; mais il n’ose pas assez prendre sur lui et cela tient peut-être un peu aux dénonciations que les malintentionnés cherchent à faire à tort à travers pour faire perdre la confiance dans les généraux et désorganiser l’armée... mais je crois que leurs efforts seront vains. Tout ce que je puis t’assurer, et tu peux t’en rapporter à moi, c’est que M. de la Morlière et M. de Broglie ne cherchent que les moyens de bien battre nos ennemis, qu’ils veulent soutenir et défendre la constitution telle qu’elle est, et ce doit être le vœu des honnêtes gens à part toute opinion. Je puis t’assurer que M. de Broglie est tout aussi patriote que moi ; peut-être ne l’est-il que par circonstance, pendant que moi je le suis par sentiment, mais le résultat est le même parce que son honneur et sa réputation y sont