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particulière ; je dîne aujourd’hui chez lui... Nous avons, écrit-il plus loin, obtenu une prolongation de congé de dix jours jusqu’au 10 de janvier, mais, en me le donnant, M. de Narbonne me dit qu’il fallait toujours nous tenir prêts à partir sous trois jours. J’imagine que, pour ce délai, on attend la réponse des Electeurs qui souffrent des rassemblements d’émigrés sur leurs territoires... J’ai vu avec plaisir que le vœu général est ici pour la guerre. On commence à s’ennuyer de ces menaces sans effet qui entretiennent l’inquiétude des esprits, détruisent la confiance publique, empêchent la Constitution de prendre de la consistance et favorisant les espérances des factieux du parti d’Orléans, qui conservent encore l’espérance du gouvernement républicain. Il ne peut plus avoir lieu, puisque nous avons adopté une constitution, ce qui entraînerait une nouvelle révolution qui ne serait sûrement pas aussi douce que celle que nous venons d’éprouver. Au reste, tu connais mes opinions sur le gouvernement. Je préférerais la République, mais je suis convaincu qu’elle ne nous conviendrait pas dans ce moment-ci. Nous nous sentons encore trop de la corruption de l’ancien régime, et la République ne peut exister qu’avec et par des vertus que malheureusement nous n’avons pas encore et qu’une éducation publique peut seule nous donner. »

Il est d’ailleurs parfaitement content d’être à Paris. « Autant je détestais Paris avant la Révolution, écrit-il, autant je l’aime actuellement ; c’est vraiment le séjour de la liberté. Il n’a rien perdu de son agrément, et son luxe insolent n’existe plus... La société patriote me traite fort bien. C’est Mme d’Aiguillon qui en est le centre actuellement, parce que Mme de Lameth n’a pas de maison. Elle est seulement venue passer ici quelques jours et repart aujourd’hui pour la campagne où elle voulait m’emmener ; mais l’incertitude où m’a laissé M. de Narbonne ne me permet pas d’y aller en ce moment. Je vois rarement Théodore, excepté un moment, le matin, avant qu’il aille à l’Assemblée. Je le trouve fort triste. Il voit la chose publique en danger et beaucoup plus qu’elle ne l’est en effet. »

Dans le tumulte précédant une guerre à peu près inévitable après la déclaration relative aux princes allemands, Malet, quoique suivant de fort près les affaires publiques, ne perdait point de vue ses intérêts et continuait à se pousser par les