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rôle qu’a joué le « ravitaillement » dans le règlement des affaires européennes. A Budapest même et dans cette circonstance même, ce rôle a été, ou l’on aurait voulu qu’il fût, des plus importants. On s’est servi du ravitaillement pour essayer de peser sur les résolutions de la Roumanie, après s’en être servi pour tâcher de diriger les intentions de la Hongrie. On a, dans ce moyen d’action par pression ou attraction, une telle confiance qu’on en use sans tenir compte des faits qui peuvent lui enlever beaucoup de force, fût-ce des faits de la nature, des saisons, de l’état des récoltes, grâce auxquelles, lorsqu’elles sont abondantes, comme elles le sont cette année en plusieurs régions de l’Orient, la Roumanie et la Hongrie elle-même, malgré toutes leurs misères, ont assez de blé chez elles pour se passer des farines du dehors. Le Traité de paix avec l’Allemagne fait au ravitaillement un sort privilégié, puisque le prix des denrées destinées à alimenter les populations plus ou moins affamées du Reich sera payé par préférence même aux réparations des ruines que ses hordes ont semées dans les pays dévastés. L’Europe est demeurée si épuisée par cinq années d’une guerre impitoyable, au cours desquelles elle n’a rien produit que pour détruire, ou du moins n’a plus produit assez pour vivre même maigrement, sur son propre fonds, que l’appât d’une nourriture suffisante et facile devait permettre d’en conduire telle ou telle partie presque comme on le voudrait, presque où on le roulait. Le ravitaillement est ainsi devenu un instrument diplomatique, nous voulons dire un moyen de diplomatie, d’un genre jusqu’ici ignoré, dont la puissance, évidemment, est inégale selon les temps et les lieux, mais dont l’emploi opportun a pu donner des résultats qu’on n’eût, sans lui, obtenus que par les armes. Ce n’est ni exagérer ni plaisanter que de noter qu’il y a eu des mois de l’hiver de 1918 et du printemps de 1919, où la volonté de l’Autriche, son droit de libre disposition, son Selbstbestimmungsrecht ont tourné autour d’un arrivage de tard américain.

Précisément, la paix avec l’Autriche reste la grande affaire des semaines où nous sommes, et rien ne saurait être plus utile que d’évoquer ici des souvenirs, qui ne sont que d’hier. Ce qu’on appelle, imprudemment, l’Autriche allemande, les provinces autrichiennes de langue allemande, tiennent dans la politique européenne ou peuvent y prendre, surtout du point de vue français, une place considérable, hors de toute proportion avec celles qu’elles occupent sur la carte. On le sait : l’Empire allemand d’Allemagne, le Reich allemand, sort de la guerre avec son unité intacte, sinon renforcée. Tout ce qui s’est