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Le couple nouvellement couronné, suivi de ses nombreux hôtes royaux, devait aller en grande pompe assister à la distribution qui serait faite aux milliers de paysans venus des quatre coins de l’immense pays. Par je ne sais quel défaut d’organisation, une bagarre se produisit, et des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, accourus pour se réjouir, perdirent la vie dans un désastre sanglant plus meurtrier qu’une bataille.

Ce déplorable événement jeta son ombre sur toutes les cérémonies et réjouissances qui devaient suivre. La Tsarine, avec sa naturelle disposition à la tristesse, en fut douloureusement impressionnée. Beaucoup y virent un mauvais présage pour le nouveau règne : commencé dans le sang, disait-on, il finirait dans le sang.


Au cours des années qui suivirent, je me suis retrouvée plusieurs fois avec le tsar Nicolas et sa femme. Avec celle-ci, et bien qu’elle fût aussi ma cousine, grâce à ses façons étrangement peu accueillantes, aucune intimité ne s’établit, tandis que les sentiments affectueux que Niky et moi nous avions l’un pour l’autre ne subirent aucun changement. C’est donc parce que j’entendais dire aux membres de ma famille, et par la voix de toutes les classes de la société plutôt que par mes observations personnelles, que je sus qu’ils avaient en quelque sorte déçu l’espoir mis en eux : chaque fois que ces rumeurs m’arrivaient, j’en ressentais un profond chagrin.

Nicolas avait en lui plus d’une impulsion bonne et vraiment noble, plus d’un élan vers des idées plus larges, vers des conceptions plus modernes ; mais il semblait qu’une puissance occulte le retint dans ce qu’il voulait entreprendre.

Pendant longtemps on patienta, l’espoir ne quittant pas encore les cœurs ; puis, petit à petit, les murmures commencèrent à monter vers la Cour, le mécontentement contre la façon dont on y vivait. Sous les règnes précédents, les souverains avaient toujours pris largement part aux événements publics. Ils avaient été l’âme de toutes les cérémonies ; pas de fête, pas de manifestation publique sans eux ; l’éclat qui les entourait semblait une nécessité sociale, le point de ralliement pour les grands et les petits.

Peu à peu, sous des prétextes divers, les nouveaux souverains