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de leurs lourds manteaux. Arrivés sur la terrasse, ils se tournent face à leurs sujets. Le soleil tombe droit sur eux, allumant de reflets leurs joyaux fantastiques, tandis que, d’en bas, monte en roulement sourd l’acclamation des mille voix de la foule. Poussée par une émotion irrésistible, cette foule tombe à genoux, dirigeant des regards d’extase vers ces deux figures lumineuses qui sont là-haut, immobiles, pareilles à d’étranges divinités qu’on ne verra qu’une fois dans sa vie.

Au-dessus d’eux, le ciel est bleu, bleu comme il peut l’être au début du printemps, dans la jeunesse de l’année ; le monde entier semble sourire à ces deux êtres que le sort a marqués pour conduire un peuple vers la lumière dont il rêve…

Et puis, je les revois après, assis dans leur grandeur solitaire à une table couverte de beaucoup de plats, de coupes et de gobelets, collection de trésors sans prix, apportés en offrande aux souverains du pays, de mille contrées et depuis des siècles.

Pendant plusieurs jours, avant la cérémonie, il ont observé un jeune sévère dans un couvent des environs, afin d’être dignes du grand sacrement qui allait leur être conféré. Mais voici venue l’heure où leur chair a droit à sa revanche ; seulement, en ce jour solennel entre les plus solennels, ils doivent porter seuls le poids de leur grandeur et, tandis qu’ils seront servis par les premiers noms du royaume, personne n’aura le droit de s’asseoir à leur table.

Le couvert est dressé dans une salle aux murailles dorées, petite merveille byzantine, à moitié hall, à moitié crypte. D’épaisses colonnes supportent la voûte basse du plafond ; sur le fond d’or des murs où ils furent peints voilà bien longtemps, des saints archaïques contemplent avec indifférence la passagère gloire de ces êtres solitaires qui sont venus troubler pour une heure le sanctuaire dont ils ont la garde.

Par une ouverture pratiquée dans l’épaisseur des vieux murs, quelques personnes ont le droit de venir regarder les souverains pendant la solitude de leur repas.

Un événement cruel marqua d’une empreinte sanglante ces somptueuses journées de réjouissance. Une grande fête populaire avait été organisée, hors de la ville, dans un vaste champ, où les villageois devaient être habillés et nourris. On devait leur donner aussi des souvenirs portant l’effigie de l’Empereur, afin qu’ils emportassent l’image de ses traits jusqu’aux confins les plus reculés de l’Empire.