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et obligent rapidement l’émir à demander un armistice et à traiter de la paix.

A Alep à la fin de février, à Adana le 10 mars, des incidents graves se produisent ; des Arméniens sont tués ; le commandement français et anglais est obligé d’intervenir pour rétablir le calme. Aux frontières de la Perse, parmi les tribus Kurdes, le comité jeune-turc organise des bandes armées pour empêcher le retour dans leur patrie des Arméniens réfugiés en Perse ; c’est Haïdar bey, ancien vali de Van, ami et complice de Djevdet bey, l’un des plus acharnés bourreaux des Arméniens, qui dirige le mouvement.

Ainsi, partout, les troubles ont le même caractère et la même source ; les comités jeunes-turcs de Constantinople et de Berne ont la direction du mouvement ; et sans doute eux-mêmes obéissent-ils aux ordres secrets des Talaat et des Enver réfugiés en Allemagne ou cachés à Constantinople. L’approche de l’inéluctable justice affole les coupables ; l’idée que, malgré tout leur zèle sanguinaire, il reste encore des Arméniens qui se disposent à rentrer dans leurs foyers dévastés et à y créer, avec l’appui des Alliés, un grand État indépendant, excite la rage des bourreaux. Plus se prolonge l’indécision de la Conférence et l’inaction des Alliés, plus l’audace des Turcs grandit et plus loin s’étendent leurs intrigues. Le débarquement des troupes grecques à Smyrne, où elles sont presque encerclées par des troupes italiennes, a paru aux Turcs à la fois comme une provocation et comme une preuve d’un désaccord entre leurs vainqueurs. Chaque jour, dans ces malheureux pays qui ont déjà tant souffert, des hommes sont tués parce qu’à Paris la Conférence n’a pas encore pris ses résolutions. Le premier devoir qui s’impose à elle, avant de trancher les différends entre les vainqueurs, c’est d’imposer la loi au vaincu. Pour rassurer les peuples dans tout l’ancien Empire ottoman, il faut un grand geste symbolique qui se voie de loin et dont le sens ne puisse être discuté : le Sultan doit quitter Constantinople.


IV

Quand les Turcs sont entrés en guerre avec l’Allemagne contre la Russie, la France et l’Angleterre, l’opinion publique, dans ces trois pays, s’est prononcée : notre victoire sera la fin