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que le peuple turc y a participé allègrement, dépouillant et assassinant les victimes, obligeant les femmes et les enfants à se faire musulmans, choisissant les plus jolies dans les tristes caravanes pour les emmener dans leurs harems.

De toutes ces atrocités les Turcs sont pleinement responsables ; ils le sont dans leur ensemble, et non pas seulement dans leur gouvernement. Et si nous avons évoqué ces abominations, c’est moins pour appeler sur un ennemi abattu et après tout malheureux lui-même la haine et la vengeance des peuples qui furent longtemps ses sujets opprimés, que pour montrer une fois de plus la radicale incapacité des Turcs à s’adapter à la civilisation européenne, à lui emprunter autre chose que ses vices, à constituer un Etat capable d’administrer avec justice les peuples non turcs. La notion européenne de la liberté leur est aussi complètement étrangère que notre conception de l’égalité et notre idéal de fraternité. On se demande vraiment si, dans un pays constitué comme l’Empire ottoman, véritable macédoine de races, de langues et de religions diverses, l’idée d’exterminer ou d’assimiler tout ce qui n’est plis turc était plus absurde ou plus criminelle. On a vu des peuples plus. avancés en civilisation et mieux doués s’assimiler d’autres peuples ; mais le Turc est, de tous les éléments qui constituaient l’Empire ottoman, le moins développé, le moins susceptible de culture et de progrès. Cette guerre, dans laquelle les Turcs, par leur bravoure et la position géographique de leur Etat, ont apporté à nos ennemis un si précieux appoint, doit avoir pour conséquence, là comme ailleurs, là plus encore qu’ailleurs, l’affranchissement des peuples, la fin de toutes les oppressions. Le suaire est enfin déchiré ; le tombeau où des peuples ensevelis vivants gisaient depuis des siècles est enfin ouvert ; il ne se refermera pas. Le peuple turc a, comme les autres, ses droits qui seront respectés ; mais sa domination sur d’autres peuples, musulmans ou chrétiens, est finie, même sous la forme d’une simple suzeraineté ou sous l’apparence inoffensive d’une fiction diplomatique. Dans les régions mêmes où l’élément turc est en majorité, il sera nécessaire de donner aux minorités des garanties sérieuses et contrôlées. Les Turcs ont, comme les autres peuples de leur Empire effondré, besoin d’une assistance pour organiser un État civilisé ; la Société des Nations devra donner mandat à une ou à plusieurs des puissances victorieuses de