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qu’elle est l’éternelle Allemagne, nous avons, sur les dispositions de l’Allemagne actuelle, des indications positives. Il y a ce qu’on voit, ce qu’on ne peut pas ne pas voir : nos soldats injuriés, attaqués dans les rues de Berlin et ailleurs, l’un d’eux lâchement assassiné ; et, quoique le plus tragique, ce n’est peut-être pas le pire symptôme. Nous n’avions que trop raison, l’autre quinzaine, de rappeler les Discours de Fichte à la Nation allemande. Un de nos amis, qui fut jadis élève de l’Université de Bonn, a eu récemment l’occasion de revoir plusieurs de ses anciens maîtres. Tous, et même ceux dont on vantait ou dont on suspectait, avant la guerre, le libéralisme plus ou moins sincèrement teinté d’internationalisme, lui ont tenu un langage d’une franchise brutale. L’orgueil national regimbe : ils nient que l’Allemagne ait été militairement vaincue. Toutefois, il leur faut bien avouer (les conditions de la paix sont là pour la prouver) la défaite de l’Empire, trahi, prétendent-ils, et miné au dedans par la révolution. « C’est entendu, ajoutent-ils, vous nous avez « eus ; » mais demain ce sera à notre tour de vous « avoir. » Nous n’aurons pas pour cela grand’chose à faire, nous allons continuer à avoir des enfants et vous à n’en avoir pas. Notre revanche sortira tout naturellement du nombre. » Ils ne se donnent pas un long répit, et ne nous font pas un long crédit : cinq ans, dix ans, quinze ans au plus. Ce ne sont pas seulement les professeurs qui pensent et qui parlent ainsi : ce thème, qui va être développé dans les chaires, s’étale dans les journaux et alimente les conversations : il n’est pas exempt de rancune ni de rodomontade. Mais réfléchissons à la force qu’il va prendre, chez le plus crédule et le plus systématique des peuples, quand il sera érigé en système, et quand ce sera bien mériter de la patrie et se faire bien voir du gouvernement que de l’enseigner, pour les uns, et, pour les autres, d’y adhérer. Telle est l’Allemagne, à l’issue de la guerre à laquelle on avait assigné pour objet de détruire ce qu’on se représentait à tort comme l’impérialisme des Hohenzollern, le pangermanisme des Junkers, le militarisme prussien, et qui était en réalité le caractère allemand, que l’Allemagne conservera, entretiendra, ranimera, tant qu’une Allemagne persévérera dans son être.

Or, l’Allemagne persévère : c’est notre faute, notre très grande faute : « Et l’Allemagne, d’autre part. » Sans doute n’avons-nous péché que par soumission. A force de méditer sur cette erreur et ses conséquences possibles, nous croyons avoir réussi à reconstituer la manière dont elle a dû se produire. Au début, une politique s’est affirmée que nous appellerons la politique française, notre politique