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appel à la « poussière navale » de surface, torpilleurs, canonnières, chalutiers, vedettes, etc., dont le nouveau programme ministériel prévoyait la mise en chantier ou l’acquisition immédiate en pays neutres et, tant pour les états-majors que pour le personnel subalterne de ces petites unités, la Marine qui, au début des hostilités, débordée par l’afflux des inscrits, en était réduite à leur chercher des emplois dans les formations territoriales, n’aurait pas trop de tous ses effectifs disponibles et devrait même récupérer une partie de ceux qu’elle avait prêtés à la Guerre.

Telle fut, du moins, la raison alléguée par l’amiral Lacazc devant la commission parlementaire de la Marine pour expliquer une mesure qui causa d’abord quelque « stupeur[1]. » Il y en eut d’autres sans doute : l’épuisement de la brigade, pour laquelle son commandant n’avait jamais pu obtenir le mois complet de détente dont elle avait besoin, l’inaptitude d’une race de mouvement et d’essor à la vie de factionnaire qui lui était imposée depuis que le front s’était définitivement cristallisé, peut-être aussi, — mais cette impression, personnelle à quelques vétérans de Melle et de Dixmude, trop portés au regret du passé, était loin d’être partagée par tous, — un certain fléchissement de la « capacité offensive » des fusiliers dû à la médiocrité croissante du recrutement. « La brigade est toujours la brigade, écrivait un officier du premier « jeu, » comme le couteau de Janot, dont on changeait alternativement le manche et la lame, restait toujours un couteau, — et ce n’est plus tout de même la brigade. Les meilleurs outils finissent par s’user. Le nôtre est déjà vieux et, pour le rafistoler proprement, il faudrait d’autres lascars que ceux qu’on nous envoie depuis quelque temps… Je vous le dis à l’oreille : trop de raisonneurs, de geignards, trop de « forcez pas ! » comme on appelle par ici ces marins ménagers de leurs précieuses personnes et qui trouvent toujours qu’ils en ont fait assez. » Certains incidents sans gravité assurément, — si l’on n’avait pu craindre qu’ils ne devinssent l’amorce de fraternisations plus complètes, — tels que les échanges de journaux et de tabac, les conversations de tranchée à tranchée, des pactes clandestins pour établir une trêve momentanée ou un régime de veille

  1. Expression de M. Le Bail, membre de cette commission.