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mais il s’est à peine enroulé dans ses couvertures qu’une formidable commotion l’en arrache. Nul doute, c’est une torpille. Il va voir : elle était tombée à une vingtaine de mètres. L’officier mitrailleur des zouaves, qui occupait un gourbi voisin, s’était également réveillé au bruit.

— Vous savez, dit-il à l’enseigne Bécam, maintenant c’est fichu : ils vont en envoyer une tous les quarts d’heure pour nous embêter.

L’agrément du Boche, pensa l’enseigne, c’est qu’avec lui on n’a jamais de surprise. Tous les quarts d’heure, en effet, une torpille tombait, tantôt sur la tranchée, tantôt sur les boyaux de communication de la 2{[e}} à la 3{[e}} ligne. Peu après, ce fut le tour des 125. Vers midi cependant, le calme parut se rétablir. L’ennemi lançait bien encore de temps à autre une torpille, un 125, qui éclatait à l’arrière, dans la plaine grise, avec un bruit « vaseux. » Mais c’était toujours sur la 2{[e}} et la 3e lignes qu’il tirait, semblant rechercher de préférence les gourbis et les boyaux de communication. Un côté du gourbi de l’enseigne Bécam s’effondre ainsi sous l’effet d’une explosion voisine. Le capitaine Béra, dont le gourbi est intact, invite son lieutenant à l’y rejoindre. Justement il vient de recevoir les journaux et l’on va « pouvoir se distraire un peu. » Pas longtemps. Vers trois heures un quart, quatre shrapnells « tombent en salve au-dessus de la 2e ligne » du secteur. C’est le signal du déluge, qui s’abat partout à la fois, sur Nieuport, où le capitaine des pionniers Dévisse, en se rendant à l’Yser pourjexaminer un radeau transbordeur, est renversé par un 155 qui lui fauche les deux jambes, sur les Cinq Ponts, sur les chaussées, sur les boyaux, sur les deuxième et troisième lignes et dans les tranchées de la première. Fusants, percutants de 17, de 105, de 125, de 155 pleuvent « par dizaines. » Rapidement, le fusil approvisionné au poing, les hommes se portent sur les banquettes de tir. Presque tout de suite l’enseigne Frot est blessé d’un éclat d’obus qui lui coupe tout le côté droit de la gorge. Un flot de sang jaillit. Mais la trachée artère n’est pas touchée et l’enseigne, qui n’a voulu que personne l’accompagnât, part seul au posie de secours en criant : « Vive la France ! Les gars, courage ![1] » Ce n’est là pourtant que le début de la « danse. »

  1. Luc Platt.