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Georges et la journée du 9 mai. Pour la brigade Ronarc’h, cependant, cette journée, où elle s’est élevée jusqu’à la cime de l’héroïsme, marque la fin de la période proprement offensive, et son histoire n’est plus désormais que celle d’une troupe quelconque chargée à la vérité d’un secteur important du front, mais à qui les circonstances infligent une attitude presque continûment passive. « Nous voilà promus factionnaires, » écrit avec une nuance de dépit, un officier. Le mot est juste. C’est la garde sur l’Yser, une garde coupée d’alertes et de brefs corps à corps, de cheminements souterrains et de détentes brusques sur de petits postes avancés qui nous gênent et que nous réussissons quelquefois à neutraliser…

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Cependant le malfaisant cerveau de l’ennemi a enfanté un nouveau monstre, une torpille dont les effets meurtriers « passent tout ce qui s’est vu jusque-là. » Calibre, poids, nature et dose de la charge, tout en est anormal. Une de ces torpilles, le 25 octobre, tombe dans la tranchée sans éclater, broyant de sa masse le second maître de manœuvre. Ludovic Le Chevallier. Luc Platt en fait le croquis qu’il envoie à ses parents : « Voyez, leur dit-il, quelle grandeur par rapport aux sacs de terre ! C’est un genre d’obus de 240 m/m de diamètre, d’un mètre 10 de long, pesant 105 kilos, » lancé des 2e lignes par des minnenwerfer « à recul » et qui monte « très rapidement, très droit, sous un angle d’au moins 60 à 90 degrés. » Parvenue au point culminant de sa parabole, la torpille redescend en chute libre ; les 80 kilos de lyddite dont elle est chargée éclatent en touchant le sol et la déflagration est telle que l’on sent le courant d’air à 200 mètres. « On voit, vous entendez, on voit l’air se déplacer ; des rais de feu, d’au moins 30 à 40 mètres de long, partent du centre d’explosion, pendant qu’un panache de fumée noire s’élève à 20 mètres de haut. C’est fou ! »

Par bonheur, sur ces masses énormes, le vent a beaucoup de prise et leur course est assez lente pour qu’on puisse la suivre à l’œil nu. Quoi qu’il en soit, nanti d’un nombre suffisant de ces formidables engins, dont il avait fait des essais restreints au cours des semaines précédentes, l’ennemi décida de procéder à une expérience « en grand » dans le secteur de la Geleide où, par hasard, pendant un regroupement du front, la brigade avait été appelée à remplacer « pour vingt-quatre