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les fermes W et de l’Union et que nous les eussions abandonnées volontairement après les avoir fait sauter. Jusqu’à la dernière minute, l’ennemi avait été tenu en respect et n’avait pu placer une seule passerelle sur le bourbeux fossé d’eau qui le séparait de l’Union ; à la ferme W, les mitrailleuses de l’enseigne Domenech l’avaient empêché de déboucher du fortin. Enfin l’échec des Belges sur les fermes Terstyle et Violette expliquait trop bien que nous n’eussions pu demeurer sur des positions que battait de toute part le feu ennemi, sans qu’il nous fût possible à nous-mêmes de le contrebattre.

La brigade sortait donc à son honneur de l’aventure, qui n’avait pas tourné au gré de ses désirs, mais n’avait porté aucune atteinte à l’affirmation de sa supériorité. Longtemps encore après la journée du 9 mai, le sentiment de cette supériorité demeurait en elle.

« Combien vous trouveriez de changement, si vous reveniez parmi nous, écrivait, le 3 juin 1915, au lieutenant de vaisseau Cantener, le « colonel » Delage, quelle différence dans l’attitude de nos ennemis depuis novembre 1914 ! Nous avons l’impression qu’il n’y a devant nous aucune force capable de nous résister en pleine campagne. C’est le siège sans conteste et nous sommes les assiégeants, moins par la situation que par le moral. Ce moral, son niveau s’est encore remonté à la suite des attaques furieuses des Allemands, le 9 mai, qui n’ont abouti qu’à leur jeter par terre des milliers d’hommes [lesquels] n’ont même pas pu approcher de nos défenses accessoires. Nous tenons de cette façon un front énorme, ce qui nous interdit toute velléité d’augmentation ; ceci est réservé à d’autres, mais patience ! Le moment viendra où nous aurons notre tour. Jean Gouin prendra sa revanche et, les 200 kilomètres faits en retraite, il espère bien les refaire en avant, avec d’autres, consciencieusement jalonnés sur la route. »

Cet espoir ne devait se réaliser qu’en partie et seulement pour le bataillon d’élite constitué, après la dislocation de la brigade, sous les ordres successifs des commandants Lagrenée, de Maupeou, Monnier et Martel et qui prit une part si brillante à l’offensive de l’armée Anthoine, en août et octobre 1917, et à celle de l’armée Mangin, en septembre 1918. Poësele, Driegrachten, Hangard-en-Santerre, le Moulin de Laffaux seront des faits d’armes aussi grands que Melie, Dixmude, Saint-