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grenades sur le poste qui est enlevé de l’extérieur a la faveur de cette diversion, avec les sept ou huit Allemands qui n’avaient pas réussi à s’enfuir. Mais Robert, de retour dans la tranchée, tombait terrassé par une congestion cérébrale[1]. À 5 heures du soir enfin, sur le terrain déjà plus qu’à demi débiajé par notre 73 et en liaison avec la 17e, la 20e et la 41e compagnie de zouaves et « des détachements de la compagnie Mérouze qui voulait venger ses morts, » les compagnies Langlois et de Prunières se portaient à l’assaut, la baïonnette haute, au cri de : « En avant, vive la France ! » L’élan des chéchias et des pompons rouges, « fraternellement mêlés, » avait été si irrésistible que toute la ligne allemande craqua.

— Ils f… le camp, capitaine ! criaient les hommes du lieutenant de vaisseau Mérouze, ivres de joie, en voyant cette fuite éperdue des ennemis à leur gauche.

— Mais tirez dedans, ça vaudra mieux, répondait le capitaine.

« Et on tirait ; fusils, mitrailleuses, tout marchait et claquait sur les fesses du Boche qui déguerpissait vers ses anciens trous. » Dix-sept minutes, « montre en main, » avaient suffi pour rétablir dans son intégrité l’ancien secteur de la Geleide[2]. Nous étions vainqueurs « pour de bon » sur toute la ligne. La plaine au loin, entre l’Yser et Lombaertzyde, était « couverte de cadavres gris. » Il s’y voyait bien aussi quelques-uns des nôtres. Encore le plus gros de nos pertes ne fut-il pas supporté par les compagnies aux tranchées : ce furent surtout les renforts qui souffrirent dans la traversée de Nieuport et des Cinq-Ponts coupés par de formidables barrages d’artillerie. L’amiral lui-même, à trois heures de l’après-midi, manquait d’être tué par un obus de 150 qui éclatait à l’intérieur de son poste et fauchait les pieds de sa chaise. Quarante-deux batteries, dit-on, tiraient en même temps des lignes allemandes et, comme notre artillerie, au début de la journée, ripostait faiblement, l’ennemi en prenait une nouvelle assurance. La vérité est qu’il ne servait à rien de gaspiller nos munitions et que celles-ci

  1. C’est le lieutenant Chaillou, commandant la 20e compagnie, qui « arriva le premier, dit sa citation, dans la tranchée ennemie. »
  2. Presque sans perte pour les marins. Dans la compagnie Langlois : 1 tué, 11 blessés, 2 disparus. Parmi les blessés, l’enseigne de Béarn, qui voulait quand même continuer l’attaque « et n’a consenti, dit le capitaine Langlois, à se retirer que sur mon ordre, en pleurant de rage d’être obligé d’abandonner sa compagnie. »