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mués en censeurs. Le More connut tout cela à la Cour de sa nièce et aussi les cabales des réfugiés Milanais contre lui. Les calomnies une fois déchaînées, rien ne les arrêta plus. On alla même jusqu’à prétendre que Bianca lui réclamait son trésor personnel, sauvé du naufrage, comme ayant été formé par son père et son frère à elle. Elle ne cessait, au contraire, de le soutenir. Il tenta une seconde fois la fortune des armes, repartit pour l’Italie avec le concours de Maximilien et ne revint plus. Son second règne n’avait duré que quatre-vingts jours. Après, ce fut la chute définitive, la reddition entre les mains des Français et la captivité au donjon de Loches. Bianca ne pouvait plus rien pour lui, qu’intercéder avec son mari auprès du roi de France, pour que les murs de la prison s’élargissent. Ils le firent avec suite, avec courage, avec obstination. Mais en vain. Le More mourut dans son cachot, entouré de tous les fantômes de sa vie heureuse et passée et peut-être de ses remords. Elle avait recueilli, du moins, les enfants du prisonnier, Massimiliano et Francesco. Elle les éleva et les garda près d’elle jusqu’à sa mort. Elle-même n’avait pas donné d’enfant à son mari. Ses deux jeunes cousins, exilés, lui tinrent donc lieu de famille.

Quant à l’Empereur, il était plus éloigné d’elle que jamais. Toujours par monts et par vaux, dans ses « bonnes villes, » ou dans ses camps, fondant des canons, prononçant des discours, équipant des lansquenets, fomentant des ligues, cherchant de l’argent, méditant des poèmes. Toujours prêt à se battre et à faire battre les gens, plus encore à les marier et par-dessus tout à en hériter, quand la chose semblait possible, le seul endroit où l’on fût à peu près sûr de ne pas le rencontrer, était son foyer conjugal. Les nouvelles qui y parvenaient étaient souvent glorieuses, souvent tragiques, jamais heureuses pour Bianca. Un jour, elle apprenait le mariage de sa belle-fille Marguerite avec Philibert le Beau duc de Savoie, fameux dans l’Histoire de l’Art par son tombeau, à Brou, puis les batailles de l’Empereur au Nord, pour recouvrer le duché de Gueldres, ou au Sud, en Bavière, et le succès de sa grosse artillerie à Kufstein. Ce n’était point, là, des événements à beaucoup divertir la Milanaise. En revanche, la nouvelle que son beau-fils, l’archiduc Philippe, était mort subitement et que la jeune veuve Jeanne était devenue folle ne pouvait qu’assombrir la Cour, à Innsbruck. Tout cela servait pourtant plus ou moins les projets