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conserver les habitants ou le sol qu’il abandonnera une fois maître de toutes leurs richesses ; — il peut enfin emmener les habitants de ce pays pour les utiliser comme esclaves et se les partager... Celui qui limite ses désirs est fatalement anéanti par ceux qui attirent à eux tout ce qu’ils peuvent. Chacun veut, s’il le peut, enlever à son voisin ce qu’il possède ; celui-là seul se repose qui ne se sent pas assez fort pour engager la lutte : il la commencera dès qu’il se sentira assez. de force. » Naïvement, en en condamnant les excès, Fichte dévoilait, avec une crudité terrible, le caractère permanent et incorrigible de la race : ce fleuve de violence, qui, parfois, contraint par l’obstacle, coule souterrainement, mais qui, dès qu’il a pu le rompre, s’enfle, s’étale, déborde et emporte tout.

Mais nous, comme réplique, n’avons-nous pas à faire quelque Discours à la Nation française ? Le premier tiendra dans une phrase, et même dans un mot, tiré de l’Écriture : ''Sobrii estote et vigilate. Veillons. Ne nous endormons pas. Surtout, ne rêvons pas. Ce discours utile, nécessaire, le président de la République, le président du Conseil, le président du Sénat, le président de la Chambre des Députés, l’ont déjà fait. « La paix sera une création continue, » a dit M. Poincaré ; et tout ce que les hauts personnages ont dit, chacun à sa façon, revient à dire ce que nous avons modestement écrit à cette place depuis six semaines : « Nous aurons la paix si nous la faisons jour par jour pendant un nombre indéfini d’années, et cette paix sera ce que jour par jour nous la ferons. » On a fait, au cours de la guerre et des négociations qui l’ont close, une grande dépense d’idéalisme. C’est à merveille, si l’on se rend compte que l’idéal ne prend de consistance que mêlé et en quelque sorte brassé avec la réalité. Introduisons le plus possible d’idéal dans la politique la plus positive. Mais n’oublions pas que, depuis qu’il y a des hommes et des nations, depuis qu’il y a la guerre et la paix, il n’y a jamais eu que deux manières de terminer ou d’éviter la guerre et d’assurer la paix. Tant que la guerre dure, il faut se contenter de vaincre, et ne pas défier la Fortune en lui demandant plus que peut-être elle ne voudra donner. Mais, la guerre finie, lorsque la Fortune ne peut plus changer, il faut aller au bout de la victoire, et se réconcilier l’ennemi par une paix douce, ou le mettre hors d’état de nuire par une paix forte. Tout moyen terme est chimérique, toute via di mezzo est funeste. Si l’on s’y est arrêté, on peut bien, de par le monde, proclamer la paix ! la paix ! mais il n’y aura pas la paix ! Si l’Enfer, d’après le proverbe, est pavé de bonnes intentions, les Limbes, selon