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eût dû faire aurait été de les rappeler en 1919, d’autant plus que non seulement l’Assemblée nationale de Weimar, où l’Allemagne tout entière est représentée, mais des Chambres d’États particuliers, la Chambre prussienne, la Chambre bavaroise, prétendent, dit-on, que le traité soit soumis à leur ratification. Ni la Bavière, ni la Prusse elle-même, sinon parce qu’elle a donné sa forme à l’Allemagne, n’ont signé, mais elles ratifieront, ce qui signifie qu’elles discuteront, examineront, ergoteront. Nous aurons ainsi les inconvénients de la division ; pourquoi n’en avoir pas saisi les avantages ?

Le plus clair et le plus certain, c’est que, de l’autre côté du Rhin, par delà la zone de cinquante kilomètres, la France continue d’avoir en face d’elle, et face à face, l’Allemagne. Il est clair et certain aussi que c’est une Allemagne blessée, et que ce n’est pas une Allemagne apaisée. La France elle-même, en 1871, avec son passé multiséculaire, avec le sentiment profond de sa vieille unité ou de son unité déjà ancienne, lorsqu’elle fut mutilée en sa chair, amputée de deux provinces, ne se réfugia pas et ne se retrancha pas plus vite dans l’idée-force de la revanche. D’origine française, ou anglaise, ou neutre, tous les récits, en cela, s’accordent : « On entend parler de la prochaine guerre d’abord avec la Pologne et plus tard avec la France, lorsque la stabilité financière sera restaurée et les stipulations du traité oubliées, écrit de Coblence un correspondant du Times. Si tout ce qu’on entend est vrai, et si toutes les impressions des voyageurs venant de l’intérieur de l’Allemagne et des provinces baltes sont bien fondées, il n’a jamais été plus nécessaire pour les Alliés de surveiller étroitement l’Allemagne. »

J’ai rouvert hier les Discours que Fichte, au lendemain d’Iéna, adressa « à la Nation allemande. » Dans le treizième, celui dont le manuscrit avait été mystérieusement égaré, qu’il refit et par conséquent il pensa deux fois, tout en voulant faire de l’Allemagne le peuple honnête, sincère, désintéressé et pacifique par excellence, le philosophe n’a pas pu tout à fait étouffer le cri du sang : il dénonce par avance tout ce que la plus récente Allemagne a fait : « Un peuple, resté fidèle à sa nature, peut sans doute, si ses frontières deviennent trop étroites, désirer les agrandir par la conquête du pays voisin pour avoir plus d’espace : il en chassera les anciens habitants ; — il peut vouloir échanger un climat triste, dur et stérile, contre un autre plus doux et mieux favorisé : dans ce cas aussi, il en chassera les premiers possesseurs ; — il peut même, s’il dégénère, entreprendre de simples campagnes de pillage sans le moindre désir de