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forces, nos adversaires devront se résigner. » La harangue de Haase fut, paraît-il, nerveuse, incisive : il nous y livra son secret, qui, bien qu’il ne fût pas très difficile à connaître, était quand même un secret plein d’horreur : « La révolution mondiale fait des progrès. La poussée est irrésistible, mais elle ne marche pas aussi rapidement que nous le désirons. » Voilà pourquoi l’Allemagne voulait qu’on lui donnât du temps ; elle en voulait donner à « la révolution mondiale. » Et voilà sans doute ce que l’Allemagne a compris, lorsque M. Bauer lui a avoué qu’elle ne pouvait plus se défendre « par une action extérieure. »

L’action extérieure, c’était la guerre ouverte, la résistance armée, le lutte pied à pied chez soi. Mais il restait « l’action intérieure chez les autres, » la guerre larvée, la culture de la trahison, la désagrégation du bloc ennemi par la discorde et de chacun de ses éléments par la révolution. Puisqu’on ne pouvait plus gagner, sans promettre de signer, ces bienfaisantes quarante-huit heures dont on attendait le salut, si elles conduisaient au « grand soir, » il fallait tâcher de les gagner, après avoir promis, avant d’avoir signé, comme il faudrait encore tâcher de les gagner, après avoir signé, avant d’avoir exécuté. L’Allemagne, avec des airs de victime innocente, allait se coucher au tombeau, attendant de la révolution sa résurrection. Mais, pour signer, il fallait des signataires, et dans ce gouvernement qui s’était constitué tout exprès sur et pour la signature du traité, dans cette Assemblée nationale qui l’avait approuvée à cent voix de majorité, on ne parvenait pas à en découvrir. Déconcerté pour la première fois de sa vie, et probablement terrorisé, menacé de la corde (cette perspective seule pouvait lui faire perdre son assurance), M. Erzberger lui-même se récusait. Comme par hasard, on s’adressait, pour cette corvée qui, l’on en doit convenir, n’avait rien d’agréable, à deux anciens membres du ministère Scheidemann, M. Giesberts et M. Leinert, qui, tous les deux, avaient voté contre la signature. La raison était bonne : à leur tour, MM. Giesberts et Leinert se sont excusés. C’était encore une après-midi de perdue, et, l’on s’en flattait, de gagnée.

De jour en jour, le jeudi était venu, mais, de Berlin ou de Weimar, à Versailles, rien ni personne ne venait. A la fin, M. Clemenceau s’est fâché, et, brusquant les choses, le Conseil des Quatre fixa la séance au samedi trois heures. Collé au mur, le gouvernement de la République allemande décrocha, un peu trop visiblement dans le magasin de ses accessoires, — mais il n’importe, car il les avait, au préalable, habillés en ministres, et le premier en ministre des Affaires étrangères, — deux personnages qu’il nous plut de tenir pour assez représentatifs