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impossible de soutenir que sa « libre disposition » est gênée et son « libre développement économique. » entravé ? Tout eût été gêne et entrave pour son génie fertile en chicanes.

Vraiment, c’était bien la peine que des millions de morts eussent été couchés dans les champs, pour qu’une pareille guerre enfantât une pareille paix ; paix précaire de deux années ; paix à long terme par ses promesses et à court terme par ses satisfactions, ses réalités ou ses certitudes ; et, pendant ces deux années mêmes, paix sous condition suspensive, avec clause résolutoire, toute troublée d’alertes, et dans laquelle l’humanité épuisée ne se serait pas reposée, mais seulement posée, juste le temps de souffler !

Il était urgent de couper court à cette manœuvre désespérée. M. Clemenceau a tranché. Plus de délai, aucune réserve. Le 23 juin, le chargé d’affaires demeuré à Versailles, M. von Haniel, sur l’ordre de son ministre, M. Hermann Müller, annonçait au président de la conférence : « Il est apparu au gouvernement de la République allemande, consterné par la dernière communication des gouvernements alliés et associés, que ceux-ci sont décidés à arracher à l’Allemagne, par la force, l’acceptation des conditions de paix, même de celles qui, sans présenter une signification matérielle, poursuivent le but de ravir au peuple allemand son honneur. (En la personne de son ex-empereur, toujours cher, quoique fugitif, Guillaume II de Hohenzollern.) Ce n’est pas un acte de violence qui peut atteindre l’honneur du peuple allemand. (Excepté ceux qu’il a commis.) Le peuple allemand, après les souffrances effroyables de ces dernières années, n’a aucun moyen de le défendre (son honneur même) par une action extérieure. Cédant à la force supérieure, et sans renoncer pour cela à sa manière de concevoir l’injustice inouïe des conditions de paix, le gouvernement de la République allemande déclare donc qu’il est prêt à accepter et à signer les conditions de paix imposées par les gouvernements alliés et associés. »

C’était le jour et l’heure fixés pour la réponse définitive ; le jour même et presque l’heure. On était au lundi 23, à cinq heures du soir : à sept heures, si l’Allemagne n’avait pas cédé, toute la ligne alliée, le long du Rhin, s’ébranlait. Vers six heures, le canon tonna, les cloches sonnèrent. Nous entendîmes ces voix de la joie nationale qui s’étaient tues depuis le 11 novembre, et qui, chez nous, dans nos villes de l’intérieur, n’ont parlé que pour la paix, n’ayant, durant la guerre, parlé que dans nos alarmes. L’Allemagne cédait, et, comme elle ne disait plus qu’elle faisait des réserves, il était naturel d’en déduire