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tant va crescendo. C’est par rafales maintenant que les Boches tirent. L’aumônier Pouchard, au plus fort du bombardement, comptera sur Nieuport cent obus à la minute. Tous les calibres donnent en même temps : sur les Cinq-Ponts du 420, du 380, du 250 ; sur nos tranchées, outre les 57 et les 11 habituels, des shrapnells inédits, « non plus les bonnets de nourrice, » mais des « sacs à charbon, » des « gros verts, » des shrapnells de 150, pêle-mêle dans certains segments avec des torpilles de 100 kilos, qui dansent en l’air « comme des barriques. » Sans attendre davantage, les chefs de section ont fait ramasser les hommes. Il n’y a quasi plus personne aux créneaux ; on a emporte jusqu’aux périscopes. Et tout à coup, vers une heure trente de l’après-midi,» un 105 tombe en plein sur le poste, un deuxième, un troisième, une pluie de terre, de débris de bois… Des cris ! Ça y est : deux hommes sont enfouis dans un fatras de planches et de sacs. Le lieutenant juge prudent de sortir du gourbi, où nous risquons d’être ensevelis ; chacun fait ses malles… Un pauvre « bleu, » arrivé la veille de Lorient, tourne à plat ventre dans le boyau. » Il n’est pas blessé, mais la secousse a été trop forte pour son cerveau. La vue de ce malheureux rend tout son calme au narrateur, qui suit le lieutenant dans la prairie où l’affleurement de l’eau n’a permis aucun travail en profondeur et dont toute la défense consiste en « un épais mur de sacs à terre. » On y replace le périscope, rapporté du gourbi. Le bombardement, près de s’arrêter, précipite sa cadence. « Tandis que les marmites font rage et que la terre saute en gerbes de tous côtés, écrit Luc, je me couche le long du mur de sacs et regarde dans le périscope la tranchée allemande d’en face… Vers la gauche un point gris se déplace, deux, trois, quatre, dix… Alerte ! V’ià les Boches ! Je gueule comme un putois et je fais passer au lieutenant que je les vois arriver. Celui-ci vient : « Eh bien ! Platt, qu’est-ce qu’il y a ? »

La scène qui précède se passait à la 3e section de la compagnie La Fournière, qui occupait vers les Roode-Poort la pointe Nord-Est de notre ligne. Et, à la même heure, sur tout le front septentrional de la brigade, des scènes analogues se déroulaient. À l’autre bout du sous-secteur Nord, dans le voisinage des zouaves, le lieutenant de vaisseau Mérouze n’avait que le temps d’évacuer sa « cagna, » ébranlée par les rafales du fameux 51 de marine, » le plus dangereux des projectiles