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l’Autriche acheva de s’effondrer ; et lorsque huit millions de Yougoslaves, définitivement maîtres de leurs destinées, voulurent converser avec la Serbie, converser avec l’Entente, leur messager, en l’automne de 1918, ne fut autre que Mgr Korosec. La vice-présidence dans le premier ministère du nouvel État lui fut ensuite décernée[1], par un geste analogue à celui qui, à Prague, introduisait dans le conseil national tchéco-slovaque un directeur de séminaire et plusieurs prêtres. Il est certains conducteurs de peuples, dont la mission s’achève au moment où la terre promise va s’ouvrir : la gratitude yougoslave épargne à ses guides ces pénibles déconvenues ; elle associe officiellement Mgr Korosec, et puis, dans les gouvernements régionaux, un certain nombre de prêtres, au travail d’organisation qui doit affermir les libertés publiques.

Au-dessus de ces voix sacerdotales éparses, interprètes élues des volontés populaires, s’élève la voix même de l’épiscopat yougoslave. À la fin de novembre 1918, il se réunissait solennellement à Zagreb ; il reconnaissait l’État nouveau ; il saluait à l’avance « le pouvoir qui serait définitivement établi selon la volonté du peuple. » Peuple composite, peuple complexe, où les « orthodoxes » voisineraient avec les catholiques : l’épiscopat s’en rendait compte, et tout de suite exprimait son désir de vivre avec les autres confessions « dans les meilleurs rapports d’amour chrétien. » Sans perdre une minute, il esquissait en faveur de la nation nouvelle un geste de sacrifice : persuadé de l’urgence d’une réforme agraire, il se déclarait disposé à demander le consentement du Saint-Siège pour céder, contre un dédommagement équitable, une partie des terres d’Église. Sur l’heure, un premier vœu partait pour Rome : puisque les Yougo-slaves étaient désormais unis, l’épiscopat souhaitait, pour eux tous, d’un bout à l’autre du territoire, le droit de parler à Dieu dans la vieille liturgie slave et de concerter ainsi leurs prières comme une sorte de trait d’union, non seulement avec Dieu, mais avec l’ancien passé slave, dont cette liturgie demeurait la survivance, et avec la foule immense de tous les frères slaves, même séparés. Les marches de l’autel, — de l’autel où l’on voulait recommencer à prier en slave, — devenaient

  1. On trouvera dans le volume vivant et informé de M. Charles Rivet : Chez les Slaves libérés : en Yougoslavie, p. 40 et suiv. (Paris, 1919), une conversation fort intéressante du vice-président Korosec.