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exaltait de cet apocalyptique langage d’innombrables Polonais, dont les arrière-neveux voient aujourd’hui la Pologne sortir de sa tombe et la Société des Nations s’essayer à sortir du chaos. En faisant graviter autour des destinées de la Pologne, — un État dont le Gotha se taisait, — les destinées mêmes de l’humanité, leurs imaginations semblaient défier l’histoire. Et les diplomates disaient : Tout cela c’est du rêve. Mais certains rêves sont des idées-forces, qui ne provoquent la réalité d’aujourd’hui que pour dompter celle de demain.

À l’écart de ces audaces, qui s’attaquaient au voile de l’avenir et sans cesse en élargissaient les déchirures, l’Eglise romaine, elle, se retournait avec gratitude et fierté vers le passé de la Pologne, vers ses longs combats pour le nom chrétien, face à l’Islam, face aux Tartares, face aux païens. « Ramassez une poignée de votre terre, » avait dit le Pape Paul V aux ambassadeurs polonais qui lui demandaient des reliques. Il parlait de la Pologne comme d’un sanctuaire d’héroïsme, dont le sol même était sanctifié… L’Eglise ne croyait pas que ce sanctuaire pût être à jamais profané. Et le rôle qu’avait joué la Pologne dans l’histoire du passé catholique la rendait non moins digne de revivre, que la mission à laquelle elle se croyait appelée dans les futures évolutions européennes.

Heureuse et malheureuse Pologne ! Elle eut le bonheur, au nom de ses malheurs mêmes, de susciter durant tout le XIXe siècle une sorte d’union sacrée entre le catholicisme romain et le libéralisme européen. Elle était leur commune cliente ; ils ne discutaient à son sujet que pour chercher l’un et l’autre les moyens de l’aider plus efficacement. Vous êtes trop tièdes pour elle, vous prêtres, criait un jour Edgar Quinet. Et Mgr Dupanloup de lui répondre : « Vous refoulez toujours le clergé derrière l’autel, et vous l’appelez au dehors quand cela vous convient ; vous le chargez d’entraves, puis vous lui reprochez de ne pas agir[1]. » L’Eglise, par cette voix éloquente que n’effrayait ni l’idée ni le mot de liberté, demandait à ses adversaires qu’ils la libérassent elle-même, afin qu’elle fût mieux en mesure de libérer la Pologne et de lutter, là comme ailleurs, contre l’œuvre de Voltaire. Ce fut la grande humiliation du XIXe siècle, d’être si unanime, en son for intime, en

  1. Réponse de Mgr l’évêque d’Orléans à la lettre adressée par M. Quinet au clergé catholique en faveur de la Pologne, p. 7. Paris, 1863.