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nouveau gouvernement, entre le Reich impérial et le Reich républicain-socialiste. « Les Puissances alliées et associées reconnaissent le changement intervenu et s’en félicitent... Mais il ne peut pas affecter le règlement de la guerre elle-même. La révolution allemande fut différée jusqu’à ce que les armées allemandes eussent été battues en campagne, jusqu’à ce que tout espoir de profiter d’une guerre de conquêtes se fut évanoui. Tout le long de la guerre aussi bien qu’avant la guerre, le peuple allemand et ses représentants ont été en faveur de la guerre ; ils ont volé les crédits, ils ont souscrit aux emprunts de guerre, ils ont obéi à tous les ordres de leur gouvernement, si sauvages que fussent ces ordres. Ils ont partagé la responsabilité de la politique de leur gouvernement, car, à tout moment, s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu le renverser, » Mais ils ne l’ont jamais voulu. Ce que l’ancien gouvernement voulait, l’Allemagne l’a désiré el en regrette encore l’échec. « Si cette politique du gouvernement allemand avait réussi, le peuple allemand l’aurait acclamée avec autant d’enthousiasme qu’il a salué l’explosion de la guerre. Le peuple allemand ne peut donc pas prétendre que, parce qu’il a changé ses gouvernants, une fois la guerre perdue, la justice veuille qu’il soit soustrait aux conséquences de ses actes de guerre. »

Dans tout le morceau qui précède, on a pu voir que nous citions largement, abondamment ; il serait en effet impossible de mieux dire, ni même de dire autrement. Il n’y a qu’à louer et à reproduire. Par une série de déductions irréfutables, la lettre d’envoi établit que « justice, » dans le cas présent comme dans tous les cas, signifie « réparation » sinon intégrale, au moins « jusqu’à l’extrême limite » de la capacité de réparer, et que « paix de justice » signifie, non pas sans doute paix de vengeance, mais quand même paix de châtiment et d’expiation.

Il n’y a pas à sortir de là, et le raisonnement est invincible. Quelqu’un doit, quelqu’un devra souffrir pour que la paix soit acquise, et que par les réparations nécessaires, la justice soit satisfaite. Mais qui ? L’Allemagne qui a fait souffrir, ou les nations qui ont déjà souffert épouvantablement par elle ? Otons même l’idée de châtiment pour le passé et, pour l’avenir, la pensée de préservation : ne retenons que la pure équité : une paix dont l’Allemagne ne souffrirait pas, qui ne pèserait pas sur elle aussi lourdement que la guerre, par sa faute, par son crime, par ses crimes grands et petits, a pesé sur nous, serait une paix inique, ce qui veut dire exactement inégale, et le contraire absolu d’une paix de justice.