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gouvernement, nous avions été nommés par l’Empereur membres du Conseil de l’Empire quelques semaines avant ce vote ; c’est donc grâce à nos deux voix que la réforme agraire de M. Stolypirie n’y subit pas un échec qui aurait beaucoup compliqué la situation.

Ce qui est curieux, c’est que cette réforme fut combattue à la fois par les deux partis extrêmes de gauche et de droite. Les socialistes la rejetaient au nom de leurs théories communistes. Les réactionnaires y voyaient une infraction aux traditions du passé et un pas vers l’égalisation des classes, donc une mesure essentiellement libérale. Étrange aberration d’un parti qui se proclame conservateur et donne la main aux révolutionnaires pour faire échouer une loi destinée à renforcer le principe de la propriété !

C’est le parti réactionnaire qui avait organisé la résistance à la réforme agraire au sein du Conseil de l’Empire ; au moment de la discussion de cette réforme, ce parti s’y trouvait considérablement renforcé, car l’Empereur, cédant à des influences dont il sera question plus loin, n’y laissait systématiquement pénétrer, à titre de membres nommés, que des hommes connus pour leurs tendances réactionnaires ; ma nomination et celle de mon frère avaient été à plusieurs reprises refusées par l’Empereur et avaient fini par lui être en quelque sorte arrachées par M. Stolypine.

La réforme agraire de M. Stolypine eut un succès prodigieux, qui dépassa les prévisions les plus optimistes. Le paysan russe, s’il est facilement accessible à une propagande révolutionnaire qui s’adresse à sa passion dominante, celle de la terre, est, par ailleurs, doué d’une intelligence très vive : il n’hésita pas à accueillir des mesures destinées à lui assurer la propriété des terres qu’il cultivait et à lui procurer le moyen d’en acquérir d’autres d’une manière sûre et légale. Sous l’habile et ferme direction de M. Krivoshéine, qui remplaça bientôt le prince Wassiltchikoff au ministère de l’Agriculture, la nouvelle législation, complétée par une extension considérable de l’activité et des moyens de la « Banque des Paysans, » donna des résultats d’une importance et d’une rapidité surprenantes ; ils furent tels, qu’à la veille de la révolution de 1917, on pouvait affirmer que la question agraire était en voie d’être résolue et qu’il aurait suffi d’une période relativement courte pour asseoir