Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obtenait. Il lui faisait une place étincelante sur la façade de l’État ; il l’associait à ses pompes, mais beaucoup moins à ses œuvres. Cardans ses œuvres, l’État autrichien, malgré les efforts sincères de Metternich pour amener une résipiscence, s’inspirait toujours des principes du joséphisme : il était plus religieux dans sa toilette, si l’on ose ainsi dire, que dans sa politique. Mais non plus que l’habit ne fait l’homme, la toilette ne fait l’État.

Joseph II crut autrefois duper ses sujets et duper les catholiques du dehors, lorsqu’il contraignit le pape Pie VI à glisser après coup, dans le texte d’un discours pontifical, une phrase qui célébrait l’insigne dévotion de l’Empereur à l’endroit de Dieu, et lorsque bien vite il fit traduire ce discours en plusieurs langues[1]. Dans le secret du tête à tête, il signifiait au Pape qu’on avait trouvé le secret de bien manger et de bien boire malgré les excommunications. Il parlait de supprimer le pouvoir temporel, ou de faire un schisme en Lombardie, ou de convaincre ses peuples qu’on pouvait demeurer catholique sans être romain ; et Bernis constatait qu’il ne restait au Pape d’autre ressource que celle d’ « obéir avec le moins d’humiliation possible à la loi du plus fort et du plus habile[2]. » Mais Joseph II voulait, tout philosophe qu’il fût, que le Pape le célébrât comme un empereur dévot. Il lui fallait, autour de son trône, les prestigieuses fumées d’un encens pontifical : politiquement il en avait besoin, et s’abriterait ensuite derrière elles, comme derrière le voile d’un tabernacle, pour mener à son gré son Église respectueuse et ses peuples respectueux. Ainsi voulait-il emprunter à l’Eglise elle-même l’ascendant dont il se servirait pour la combattre.

Ces mœurs lui survécurent ; la bureaucratie joséphiste prolongea Joseph II. Aux Fêtes-Dieu, chaque année, l’ombre du dais qui abritait l’Eucharistie se projetait sur la silhouette de l’Empereur, qui pieusement suivait ; mais en un jour de franchise, — c’était en 1844, — Metternich écrivait à son souverain que tandis que l’Autriche « se trouvait en état de guerre contre la Révolution, » elle était « engagée dans une guerre secrète contre l’Eglise et son siège central[3]. » Les étincelantes

  1. Schlitter, Die Reise des Papstes Pius Vl nach Wien, p. 70-75 et 194.
  2. Schlitter, Pius VI und Joseph II bis zum Abschlusse des Concordats, p. 79, 80 et 210.
  3. Metternich, Mémoires, VII, p. 34.