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au grand Palais Impérial. Mais M. Stolypine m’ayant prié de me trouver chez lui dans la soirée pour prendre part à une séance extraordinaire du Conseil des Ministres, je remis mon départ au lendemain. Je parlerai plus loin de cette séance qui dura une bonne partie de la nuit et qui eut une si grande influence sur le cours ultérieur des événements. Le lendemain, dimanche, j’arrivai à Peterhof, où je devais déjeuner chez l’Empereur ; en descendant du train, je constatai une grande animation sur le quai de la gare : on venait d’emporter le corps du général Minn, commandant du régiment Sémenovsky qui avait joué le rôle principal dans la répression de la révolte de Moscou. Le général avait été tué de plusieurs coups de revolver par une femme. La meurtrière, aussitôt arrêtée, pria les agents de ne pas la bousculer, car elle avait sur elle un engin explosif auquel elle devait avoir recours au cas où le général Minn aurait échappé au revolver. L’engin, en forme de boîte à sardines, fut déposé sur un banc et gardé par deux factionnaires ; on constata plus tard qu’il était d’une très grande puissance, et que son explosion aurait produit des ravages effroyables.

A déjeuner, l’Empereur se montra profondément ému de l’attentat contre M. Stolypine et voulut connaître tous les détails de la catastrophe ; il témoigna à M. Stolypine et à sa famille la plus vive sollicitude et les combla d’attentions touchantes. Je le répète : témoin de l’attitude de Nicolas II à cette occasion, comme aussi bien dans plusieurs circonstances analogues, je puis certifier l’absolue fausseté des accusations d’après lesquelles il aurait été étrangement insensible aux souffrances d’autrui.

A partir de ce mémorable samedi 25 août, il y eut non seulement à Saint-Pétersbourg, mais dans toutes les régions de la Russie, une série d’attentats terroristes qui se succédèrent, presque sans un jour d’interruption, pendant plusieurs mois. M. Stolypine se montrait d’une bravoure extraordinaire et ne prenait personnellement aucune précaution contre les attentats. Parmi les complots auxquels il échappa, il y en eut un d’une particulière audace. La police arrêta un groupe de terroristes au moment même où ils allaient procéder à une attaque organisée de la façon inédite que voici : une superbe automobile, de marque allemande, peinte en rouge et chargée d’une quantité considérable de matières explosives, devait être