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qu’il interprétait cet article d’une manière abusive pour s’en faire une arme contre la Douma et surtout contre le Conseil de l’Empire. Ce fut là, comme on le verra plus tard, une des causes de nos futurs dissentiments, et, finalement, de notre rupture. Mais à l’époque dont je parle, il est exact que le règlement immédiat de la question agraire était exigé par des « circonstances exceptionnelles, » car cette question n’était pas seulement la cause de tous les troubles dans les campagnes, elle était devenue un moyen de surenchères entre les mains des partis révolutionnaires qui s’en servaient pour attirer à eux les masses rurales, en leur promettant des solutions toutes plus radicales et plus utopiques les unes que les autres.

En me demandant de garder dans son Cabinet le poste de ministre des Affaires étrangères, M. Stolypine savait qu’il pouvait entièrement compter sur mon concours pour l’aider à mettre sur pied son programme de réformes et préparer le terrain à la future collaboration du Gouvernement et de la Douma. Malgré le travail considérable qu’exigeaient de moi les affaires de mon département, — je venais de commencer à cette époque les laborieuses négociations qui devaient aboutir un an plus tard aux accords avec l’Angleterre et le Japon, — je prenais une part assidue aux séances du Conseil des ministres dans lesquelles, plusieurs fois par semaine, se discutaient les différents projets de lois en voie d’élaboration. Selon l’habitude invétérée de la bureaucratie russe de travailler surtout la nuit, — on sait combien, en Russie comme en Espagne, on a le goût exagéré des heures tardives, — ces conseils avaient le plus souvent lieu tard dans la soirée et se prolongeaient jusqu’à trois ou quatre heures du matin ; comme, d’autre part, j’avais conservé des habitudes matinales contractées à l’étranger et que je recevais dans la matinée les rapports de mes différents chefs de services, il en résultait que, pendant toute cette période de labeur intense, je ne parvenais pas à me ménager plus de quatre à cinq heures de sommeil par nuit. Ajoutez à cela l’universelle surexcitation causée par les événements et, bientôt après, par la série sans précédents d’attentats terroristes dont il sera question plus loin, vous vous rendrez compte de l’effort physique et de la tension nerveuse qu’exigeait de moi ma tâche journalière. Mais j’étais soutenu dans l’accomplissement de cette tâche par l’intérêt passionné que m’inspirait l’œuvre entreprise par