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rent à l’expliquer en alléguant que leur but avait été d’empêcher des manifestations révolutionnaires encore plus graves, comme par exemple une levée en masse des paysans dans la région du Volga, etc. Pour ma part, je persiste à croire que cet acte puéril fut tout simplement l’expression de leurs tendances doctrinaires et de leur manque d’expérience politique.

M. Stolypine eut le bon esprit de ne pas prendre l’équipée de Wyborg trop au tragique ; il laissa les signataires du manifeste rentrer tranquillement à Saint-Pétersbourg et n’intenta contre eux des poursuites judiciaires, que pour la forme. Toutefois, ces poursuites eurent pour résultat de rendre inéligibles les principaux chefs cadets et de les empêcher par conséquent de faire partie de la seconde Douma ; M. Milioukoff, qui n’était pas député, n’avait pas signé le manifeste de Wyborg et dut à cette circonstance de n’être pas poursuivi ; un autre grand chef, M. Roditcheff, se trouvait en ce moment avec la délégation de la Douma à Londres et dut à cette circonstance d’échapper au sort de la plupart des membres de l’état-major de son parti.

Tandis que les cadets exhortaient la population à opposer au Gouvernement une « résistance passive, » consistant à refuser l’impôt et le service militaire, les socialistes tentaient de recourir au moyen qui avait si bien réussi en 1905, c’est-à-dire à l’organisation de la grève générale. Pas plus que le manifeste de Wyborg, cette tentative n’eut cette fois de résultat effectif ; elle fut rapidement réprimée, et aucun des services publics n’eut à en souffrir sérieusement.

Bien autrement graves furent les révoltes militaires qui se produisirent à cette époque sur différents point de l’Empire. Déjà, au mois de juin, des troubles avaient eu lieu dans un des régiments de la Garde Impériale, celui de Préobrajensky ; ces fâcheux incidents avaient beaucoup ému l’empereur Nicolas, qui avait fait une partie de son apprentissage militaire dans les rangs de ce régiment et le considérait comme particulièrement dévoué à la cause monarchique. On affecta de croire que ce mouvement n’avait pas de caractère politique et s’expliquait par des défauts de commandement auxquels il fut aussitôt remédié ; mais, à la fin de juillet et au commencement d’août, éclatèrent coup sur coup à Cronstadt et à Sveaborg, c’est-à-dire aux portes de la capitale, des mutineries où se faisait nettement sentir la propagande révolutionnaire.