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franchi notre frontière, c’est que l’ennemi l’avait fait avant eux. C’est le thème que leurs chefs vont développer en lui donnant une ampleur légendaire. D’emblée, dans la proclamation du général von Emmich, les « intentions françaises » sont transformées en actes.

Le général von Bülow n’est guère plus sérieux que son collègue von Emmich : « Nous combattons l’armée belge, écrit-il dans sa proclamation du 8 août, uniquement pour forcer le passage vers la France, que votre gouvernement nous a refusé à tort, quoiqu’il eût toléré la reconnaissance militaire des Français, fait que vos journaux vous ont laissé ignorer. »

Mais la palme revient incontestablement au quartier-maître de l’armée allemande, M. von Stein. Je m’en voudrais de priver le lecteur de la découverte qu’a faite cet éminent personnage : « C’est à mon plus grand regret, dit le général, s’adressant au peuple belge, que les troupes allemandes se voient forcées de franchir la frontière de la Belgique. Elles agissent sous la contrainte d’une nécessité inéluctable, la neutralité de la Belgique ayant été violée par des officiers français, qui, sous un déguisement, ont traversé le territoire belge en automobile pour pénétrer en Allemagne. »

On a bien lu : des gens déguisés qui traversent un pays en automobile ont violé par-là même sa neutralité et autorisé l’armée allemande à l’envahir ! Le gouvernement allemand ne paraît pas avoir fait sienne la découverte du général von Emmich : le fait qu’il la lui laisse pour compte nous dispense de discuter une allégation aussi peu en rapport avec le sérieux de l’affaire et avec la gravité de l’histoire.

Aussi M. von Stein, quartier-maître général de l’armée allemande, croit-il devoir y aller de son explication à lui. Nous avons été informés, dit-il, qu’avant l’ouverture de la guerre, des officiers français et peut-être aussi quelques troupes avaient été envoyées à Liège pour initier les soldats belges au service des fortifications. A cela il n’y avait rien à redire avant l’ouverture des hostilités. Au contraire, du moment que la guerre éclatait, c’était une violation de la neutralité de la part de la Belgique et de la France. »

Si ces déclarations ont un sens quelconque, elles signifient évidemment que la guerre a éclaté au moment où des officiers français se trouvaient à Liège pour enseigner le service des