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Dans les drames de Shakspeare, il y a souvent une action latérale, qui reproduit, en des proportions réduites, les lignes et l’allure de l’action principale et se déroule parallèlement à elle. La tragédie que l’Allemagne venait jouer en Belgique présente le même caractère ; elle est flanquée d’une tragédie en miniature qui, pour avoir moins frappé l’attention du monde, n’en est pas moins digne d’intérêt. La neutralité du grand-duché de Luxembourg a été violée en même temps que celle de la Belgique ; elle l’a été de la même manière odieuse, elle l’a été sous le même prétexte. La neutralité du grand-duché de Luxembourg était, comme celle de la Belgique, garantie par un acte de droit international : le traité de Londres du 11 mai 1867, auquel la Belgique est intervenue.

Ironie de l’histoire ! C’était le plénipotentiaire prussien, M. von Bernstorff, qui avait demandé pour cette neutralité une garantie internationale, semblable à celle dont jouissait la Belgique. » Sur quoi le prince de la Tour d’Auvergne, plénipotentiaire de France, avait fait remarquer que, bien qu’en fait l’engagement pris par les Puissances de respecter la neutralité du Luxembourg eût, selon lui, une valeur presque égale à la garantie formelle, il ne pouvait nier que M. l’ambassadeur de Prusse ne fût fondé dans ses observations. Il fut donc tenu compte des nobles scrupules de la Prusse, la garantie fut solennellement inscrite dans les actes ; et les Luxembourgeois durent se dire que parmi les cinq Puissances, celle sur laquelle ils pouvaient le plus compter était la Prusse.

Voici comment la Prusse entendait la garantie : le dimanche 2 août 1914, à huit heures du matin, un train blindé débarquait à Luxembourg deux cents soldats prussiens, qui prirent possession de la gare, et, quelque temps après, l’armée allemande entrait en ville. En même temps, un télégramme adressé par M. von Jagow au gouvernement grand-ducal lui mandait ceci : « Nos mesures militaires, à notre grand regret, sont devenues indispensables, par suite du fait, que nous connaissons de source digne de foi, que des forces françaises sont en marche sur Luxembourg. Nous devons prendre les mesures nécessitées par la défense de notre armée et par la sécurité de nos voies ferrées. »

Comme on voit, la garantie que la Prusse avait réclamée en 1867 était bien, comme le disait son plénipotentiaire, le comte