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Quoique tenu de se conformer aux instructions de son gouvernement, il aurait plus d’une fois à prendre des initiatives et à encourir des responsabilités.

A peine est-il besoin de rappeler comme un hommage à sa mémoire qu’il y a eu unanimité pour reconnaître le tact et la prudence avec lesquels il avait manœuvré. L’œuvre était pour lui d’autant plus difficile qu’il était étranger aux questions militaires et qu’en fait, c’est par des militaires qu’elles devaient être traitées. On lui avait même envoyé à cet égard un collaborateur, le général de Boisdeffre, déjà mêlé aux premiers pourparlers et qui devait les continuer avec les généraux russes désignés à cet effet par l’Empereur ; ce qui n’empêcha pas qu’il y prit lui-même une part très active ainsi que le prouvent ses dépêches.

Il était arrivé à Saint-Pétersbourg au mois de décembre 1891 et le 10 de ce mois, il était reçu officiellement par l’Empereur. Dans son rapport de ce jour, il se loue de l’accueil qui lui a été fait ; l’Empereur s’est montré plein de bonne grâce pour lui, il lui a rappelé que son père a représenté la France en Russie sous l’empereur Alexandre II et lui a exprimé le désir d’entretenir avec lui les mêmes rapports de confiance et d’amitié qui avaient caractérisé ces relations. Mais Montebello ne dissimule pas la surprise qu’il a éprouvée en voyant l’Empereur, « bien qu’il se soit permis de lui tendre un peu la perche, » garder le silence sur les derniers événements. Non seulement il n’en a pas parlé, « mais son embarras était si grand qu’il lui a fallu quelques instants pour se remettre et engager la conversation. »

Le lendemain s’entretenant avec Giers, il lui a fait part de son étonnement.

« Ne vous étonnez pas, lui a répondu le ministre, la timidité de l’Empereur est telle que dans une première entrevue, il n’aurait pas osé aborder un sujet de cette importance. Mais vous pouvez vous rassurer, il attendait votre arrivée avec impatience ; il est heureux que votre Gouvernement vous ait choisi et vous ne tarderez pas à avoir des preuves de sa confiance. Notre Empereur, malgré sa grande timidité, sait quand il le faut parler avec une netteté et une fermeté dont nous sommes parfois nous-mêmes effrayés. Lorsque le moment sera venu, vous entendrez aussi de sa bouche un langage dont vous n’aurez pas à vous plaindre. »