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conformes au grand principe de bon sens napoléonien : attaquer partout et voir venir. L’exécution de cette manœuvre gigantesque, menée par les Anglais et nous d’Arras à l’Argonne, mettait en œuvre plusieurs armées. Celle à laquelle revenait te rôle principal, la VIe, massée de Soissons à l’Ouest de Reims, et comprenant tout près d’un demi-million d’hommes, était confiée au général Mangin. Elle devait emporter d’assaut le formidable bastion, dit « Chemin des Dames, » machiné comme un théâtre, d’où, enterrée depuis 1914 dans les creutes de l’Aisne, l’armée allemande avait fait, à longue distance, échec à nos poussées en Champagne et sur la Somme et virtuellement menaçait nos communications vers l’Est et Paris : la preuve douloureuse devait en être administrée en mai 1918.

Le choc était escompté formidable et nécessitait des troupes supérieurement mordantes.

… A Fismes, dans un vaste jardin aux fraîches pelouses sous de grands arbres, une jolie habitation Louis XIII, moitié villa, moitié château, un grand cabinet clair, aux murs couverts de cartes. C’était alors le Quartier Général du général Mangin. J’ai eu le rare honneur d’y entendre, le 10 avril, développer le plan probable de la bataille et les dernières instructions qu’il y exposait à ses généraux : un assaut brutal, irrésistible, sitôt le pilonnage achevé. Après quoi, vers Laon, vers Saint-Quentin la place libre, l’espace reconquis et la poursuite aux talons de l’ennemi en déroute. A l’effort premier, de rupture, la force noire était spécialement prédestinée. L’aveugle ruée du Sénégalais dans le feu sur le fer tendu, c’est militairement sa raison d’être. Trois corps d’armée : le 1er colonial, en crochet offensif au nord, à l’Est de Soissons, le 6e et le 2e colonial jusqu’au plateau de Craonne, face au Chemin des Dames, formaient la ligne d’attaque.

Ces grandes unités se partageaient inégalement les bataillons noirs, deux seulement, les 27e et 29e, affectés au 6e corps et y formant, avec des chasseurs à pied, l’infanterie de la 127e division.

Une fatalité semble vraiment avoir pesé sur cette bataille. Une paradoxale prolongation de l’hiver éternisait sur la campagne des bises aigres et des tempêtes de neige. Revenant du Midi, où les premiers rayons du soleil printanier les réchauffaient déjà, les noirs s’enlizaient au front, dans cette boue