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DEVANT VERDUN (1916)

Cependant que les derniers bataillons noirs instruits s’usaient au feu sans recomplètement possible, le rêve de la guerre courte s’évanouissait, sinon dans tous les esprits, du moins chez les plus clairvoyants, devant les faits. La conception nouvelle d’une guerre d’usure, à forme inédite et fin imprévisible, très probablement longue, faisait surgir des problèmes insoupçonnés, au premier rang desquels se plaçait l’angoissante question des effectifs. « Les Allemands font la guerre avec du matériel ; nous, avec des poitrines humaines ! » formule lapidaire en laquelle M. Paul Doumer, partant demander au tsar Nicolas II des divisions de secours, me résumait une situation dont beaucoup commençaient à s’inquiéter. Mais où trouver des hommes ? Les visites d’exemptés et de réformés avaient fourni, hormis ceux qu’aucune loi ne pourrait sortir d’embuscade, à peu près leur plein rendement. Éléments qui pressurés de nouveau n’arriveraient jamais à combler en nombre ni en qualité les brèches grandissantes de nos rangs. Classe pour classe, les contingents allemands connus et croissants iraient chaque année dépassant les nôtres, en constante diminution.

Nos ressources paraissaient donc toucher à leurs limites… à moins qu’un large tour d’horizon sur nos domaines fit découvrir que la France moderne est limitée au Sud, non plus par la Méditerranée, mais par le Congo et que, de son sang généreusement versé, huit lustres durant, étaient nées, aux quatre coins du monde, des Frances nouvelles. Là, cinquante millions d’apprentis-Français, sans doute inconscients de nos deuils, mais sauvés par nous cependant de la sauvage emprise allemande, bénéficieraient, à la paix, de notre victoire. Quoi de plus juste que de les faire participer à nos sacrifices ? D’ailleurs, pourquoi, les y associant, ne pas, dans la mesure du possible, leur en expliquer la sainteté ? Ainsi, cessant de réduire notre expansion mondiale à cette question d’ordre purement économique, la funeste « mise en valeur » de notre empire, profitable à quelques potentats d’affaires bien en cour, replacerions-nous cette revanche de nos déceptions européennes sous son vrai jour, qui est sans phraséologie humanitaire, tout bonnement humain, dans la plus belle acception du mot et de notre