Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/863

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force, mourir à sa tranchée, puis reflua : les Allemands étaient trop, les Sénégalais trop peu. Ils firent retraite sans panique, jusqu’à leurs lignes, et là, grossis de leurs réserves, s’arrêtèrent et, inébranlables, tinrent. Six fois dans la nuit, le régiment Lavenir, que commandait alors le colonel Mérienne-Lucas, contre-attaqua, payant son large écot de sang. Le résultat, on le connut par les gazettes allemandes. De ce ton dépité, inimitable, dont le « Boche » convient de déceptions forcées, elles reconnurent que les troupes noires étaient de « bonnes troupes, » « se battaient bien » et que jamais les leurs « n’avaient été attaquées avec autant de fureur » qu’en cette occasion. En fait, pour le moment où la garde lui en avait été confiée, le « régiment Lavenir » avait sauvé Arras.

Par quelle iniquité du sort ou des hommes, cet épisode parfaitement honorable servit-il à jeter l’anathème sur ce corps infortuné ? Ne le recherchons pas. Toujours est-il que décimé et redécimé, vide d’hommes et de cadres, pour ce fait et, le froid venant, retiré du front, envoyé au Maroc se reformer, il fit route au sein d’une imméritée légende de couardise. L’avenir portera plus tard son flambeau sur cet épisode encore trop souvent exploité contre ce régiment infortuné. Un autre eût-il fait beaucoup mieux en pareille occurrence ?


DANS L’ENFER DE GALLIPOLI

Je me suis étendu sur ces débuts des troupes noires avec un détail disproportionné, semble-t-il, à leurs effectifs d’alors. C’est qu’à la virile, ces moments de leur histoire ont été d’une importance capitale. Si les initiés, nos officiers de l’ « épopée africaine, » n’avaient jamais douté que leur soldat noir dûment dressé égalât tout autre en valeur européenne, l’opinion générale, moins avertie, l’avait, en sa grande majorité, attendu aux actes. Cette fois, le doute n’était plus permis, la vérité se faisait jour. On fit donc appel pour l’expédition des Dardanelles au fond et à l’arrière-fond des disponibilités utilisables. Hélas ! ce n’était guère : quelques bataillons que le Maroc put encore rendre, quelques recrues grappillées en Afrique occidentale… Crainte de refaire sans cesse le même récit, je ne dirai rien de ce que furent dans cette morne campagne, mal conçue et plus mal conduite, les troupes noires, égales là aussi à elles-mêmes