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la Nouvelle Revue, de 1888 à 1891, dénonça un traité secret entre la Belgique et l’Allemagne. Un publiciste, qui signait tour à tour Foucault de Mondion, Charles de Maurel et comte Paul Vasili, synthétisa les révélations de la Nouvelle Revue dans un volume qui portait ce titre sensationnel : La Belgique livrée à L’Allemagne. Il fut entendu, pour quantité de Français, qu’un traité décret avait été conclu par Léopold II à l’insu de son gouvernement avec celui de Berlin, pour l’invasion de la France. Un autre publiciste, qui signait Nicolas Notovitch, croyait même, en 1893, pouvoir « rétablir » le texte de notre prétendue convention militaire avec l’Allemagne[1] ! Que reste-t-il aujourd’hui de toute cette littérature ?

L’Allemagne, assurément, n’avait reçu de la Belgique que des témoignages de confiance et d’amitié. Confiance un peu naïve, il est vrai, et que la création du camp d’Elsenborn à deux pas de notre frontière orientale aurait bien dû ébranler. Mais non : nous ouvrions toutes larges les portes de notre pays à la pénétration germanique, et on en profitait outre Rhin. Il y avait des Allemands partout. Notre industrie, notre commerce faisaient dans une large mesure appel au concours allemand ; une partie de notre matériel de guerre, de tous nos canons nous était fournie par la maison Krupp.

L’optimisme qui depuis 1870 est la note dominante de l’opinion belge sur les relations extérieures ne se laissait pas déconcerter par les avertissements discrets que lui donnaient des patriotes clairvoyants. « On s’est trop habitué en Belgique, écrivait en 1886 Émile Banning, à ne voir de péril pour notre nationalité que du côté du midi. » Et, envisageant l’éventualité d’un conflit entre l’Allemagne et la France, il ajoutait ces paroles prophétiques : « Il est aisé de le deviner, l’Allemagne au moment de l’ouverture des hostilités aura l’avance de la concentration de ses forces ; elle a un puissant intérêt à passer par la vallée de la Meuse. Si les Français lui fournissent un motif, elle entrera sur le champ en Belgique comme garante de notre neutralité ; si tout prétexte lui fait défaut, elle invoquera d’impérieuses nécessités militaires. »

Anvers, notre métropole commerciale, était comme au temps des Fugger, quasi une ville allemande ; le haut commerce

  1. L’empereur Alexandre III et son entourage, (Paris, 1893).