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compter sur ces forces lointaines. La nécessité nous contraignit d’y faire appel et, parmi elles, à l’une des plus à portée, comme aussi des plus effectives : les Troupes Noires.

Leur place s’est au cours de la guerre, sans cesse faite plus large, dans les rangs de nos poilus. Sans encombre, le plastique paysan soudanais s’est adapté aux conditions de la lutte européenne. En sa main rude, les armes du dernier modèle ont remplacé l’arc et les flèches des aïeux. À sa bonne face amusée, il sut sans épouvante fixer le masque contre les gaz, étonné seulement que des demi-dieux blancs fussent des ennemis si sauvages. Il n’en perdit pour si peu, ni son fatalisme, ni sa bravoure ataviques.

En 1918, dès que les beaux jours eurent ramené sur notre front Nord-Est les bataillons sénégalais qui avaient hiverné sous des cieux plus cléments, plus que jamais, ils ont fait parler d’eux. Dans Reims en cendres, mais inviolée ; sur la Marne ; au Mont de Choisy, la rage allemande s’est brisée à leur fougue, à leur ténacité indomptables. De dépit, les journaux d’outre-Rhin avaient pris le parti de s’en tirer par des sarcasmes et de se venger, à grand renfort de plaisanteries balourdes, des échecs humiliants pour des stosstruppen. De leur côté, nos Africains ne se privèrent point de récidiver. À toutes les minutes du dernier quart d’heure, la presse fut pleine de leurs prouesses.

Les évoquer en tête de cette étude, c’est, semble-t-il, la commencer par la fin. Elles apparaissent, en effet, comme une conclusion, un résultat d’expérience auquel la pratique de la guerre a mené. Elles mettent un point final à dix années d’une lutte opiniâtre, semée de controverses et d’objections non toujours dépourvues d’un certain byzantinisme, où se perdit parfois le sens de réalités profitables au pays. Nous sommes ainsi, défaut ou qualité, peu importe : crainte de ne point atteindre d’abord au parfait, notre dilettantisme national, une fois de plus, avait négligé l’excellent.

Il y a, d’ailleurs, un précédent, et fort remarquable. A leur chef, le colonel de Wimpffen, ami personnel de Napoléon III, les tirailleurs algériens durent, contre vents et marées, d’être « essayés » pour la première fois, en Europe, devant Sébastopol. Du résultat de l’expérience sortirent les « turcos » légendaires de Wissembourg, puis de la dernière guerre, troupe de choc par excellence.