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qui, dans la décrépitude et le renoncement d’alentour, fait jaillir sa force neuve et sa grâce toujours vivante.

Au lieu de réveiller la ville, il semble que ce chant religieux l’endorme plus profondément, d’un sommeil qui ne ressemble pas au sommeil de nos cités d’Europe toujours fiévreux et en travail. Le sommeil de cette ville a quelque chose d’enfantin, comme ses métiers et son trafic, comme ses pensées elles-mêmes et tout l’ensemble de sa vie.

L’interminable roulade me perd un instant sous une voûte, me rejoint à la sortie du tunnel, et brusquement se tait. De grands cris douloureux jaillissent à la fois de tous les côtés de la ville. Puis le bruit s’efface de l’air. De nouveau, les murailles élèvent leurs remparts impénétrables autour du mystère qu’elles abritent, et ma lanterne n’éclaire plus que de la boue séchée qui s’écroule…

Très exactement, à quatre heures, j’arrive au lieu du rendez-vous, dans la cour du fondouk qui sert de caserne aux Askris.

Ces Askris sont des mercenaires, vaguement dressés à l’européenne, qui, pour vingt-cinq sous par jour, s’habillent, se nourrissent, assurent la police de la ville et prennent part, à l’occasion, aux expéditions dans le bled, comme c’est le cas aujourd’hui. Ce matin, je dois partir avec une centaine d’entre eux et le lieutenant qui les commande, pour rejoindre dans l’Atlas une colonne de soldats français et des contingents indigènes qui se rassemblent près du poste de Tanant. En arrivant dans le fondouk, je trouve tout le monde occupé, parmi les pigeons et les poules, à charger sur des mulets les mitrailleuses, les caisses de cartouches, deux petits canons de montagne, des tentes, des couffins, des bouillottes, et des gargoulettes. Tout était prêt pour le départ, lorsqu’on nous avertit que cinq de nos Askris, pour éviter la corvée d’une expédition fatigante, étaient allés se réfugier dans l’écurie du Pacha, sous les pattes des chevaux, — ce qui est, comme chacun sait, un asile aussi inviolable que la qoubba d’un marabout. Il fallut courir après eux, les tirer de leur sommeil, palabrer un grand moment pour les persuader de nous suivre, et le soleil était levé depuis longtemps déjà, quand nous fîmes en musique, au son des tambours, des clairons et des musettes, notre sortie du fondouk.