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IV. — UN GUETTO MAROCAIN

Quand on a longtemps erré dans cette ville musulmane, bien poussiéreuse, bien délabrée, mais vaste et aérée, remplie d’une belle humanité qui sent la montagne et le bled, quel dégoût de tomber dans le Mellah ! C’est un des lieux les plus affreux du monde. Là s’entassent quinze à vingt mille Juifs, dans un espace infiniment trop étroit pour leur vie pullulante. Ce ne sont que caftans noirs sordides, calottes crasseuses, cheveux gras tirebouchonnant sur les joues ou bien pommadés, travaillés en boucles, en franges, en mèches ramenées autour de la calotte noire avec une recherche de l’élégance qui fait peur ; têtes ravagées par toutes les variétés de teigne qui dégoûtent le passant et ravissent le spécialiste ; yeux chassieux, clignotants, purulents, mal ouverts qui semblent sortis d’une cave et s’effrayer du jour ; barbes incultes, chairs blafardes ou colorées d’un rose de poupée. En vain le regard cherche-t-il à se poser sur quelque chose de propre. Par une fatalité incroyable, les denrées elles-mêmes, un fruit, une orange, un citron, une bougie, du sucre, tous ces objets dont le nom seul éveille une idée de fraîcheur, prennent ici l’air sale et malade. Dans les chambres groupées autour d’une cour intérieure, d’innombrables familles mêlent dans une promiscuité ignoble leur vermine, leurs maladies, leurs animaux, leurs enfants. De la porte qui donne accès dans les couloirs et les cours jusqu’au fond de ces taudis, c’est une agitation, un grouillement sordide autour de matelas immondes, parmi des plats et des cruches cassées, dans une odeur de fumier, de sang de poulet, et les relents de la maya, cette eau-de-vie de ligues, de raisins et de miel qu’on boit à pleins verres au Mellah.

Le plus affreux, c’est l’école, où, dans l’odeur inexprimable, des grappes d’enfants pressés les uns contre les autres comme des mouches sur un papier ou des têtards dans une mare, ânonnent les textes hébraïques, pleurent, crient, s’abandonnent sans vergogne à tous les besoins de la nature, autour de vieux maîtres dégoûtants, qui conservent jusque dans l’extrême vieillesse un air d’enfance abrutie. Ah ! l’horrible verger d’enfants ! Et comme il fait comprendre ce mot d’un rabbin qui disait :