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couloirs voûtés, ramifiés à l’infini, qui vont se perdre comme des racines dans la masse confuse des maisons. Partout des blocs éboulés, où se dessinent encore les formes d’une habitation, des vestiges de vie semblables à des coquilles vides ; de grands espaces à demi abandonnés, et où pourtant on vit encore, comme après un cataclysme ; et à côté, de solides demeures qui ont un air de forteresse et de mystérieuse puissance, avec des vestibules profonds où dorment les esclaves, entre les grandes jarres pleines d’eau et les marches de brique qui servent de montoir aux cavaliers. Là-dedans, des portes de cèdre, dont on ne sait jamais si elles vont s’ouvrir sur un palais, une masure, une écurie, ou le tombeau d’un saint ; de petites armoires de murailles, protégées par un auvent, où tout le long du jour, un marchand vient s’incruster au milieu de ses pains de sucre, de sa bougie, de son beurre rance, derrière sa balance rouillée. Parfois un fronton magnifique, avec tout un riche décor de fleurs, de zelliges et de cèdre sculpté : ce n’est qu’une fontaine, dont la splendeur étonne dans cette ville où se marque si peu le goût de séduire le passant, et qui semble quelque souvenir d’une cité disparue, de proportions grandioses, si tout avait été ainsi à la mesure de ces fontaines.

Des quartiers couverts de roseaux, qui menacent de vous tomber sur la tête comme tout le reste de la ville, abritent du soleil une activité primitive qui n’a pas varié depuis des centaines d’années. Depuis des centaines d’années, les vendeurs de babouches, brodées comme des mitres, sont accroupis dans leurs armoires pareilles à des tabernacles étincelants d’argent et d’or ; les dévideurs de soie font tourner leurs roues légères au milieu de leurs écheveaux couleur d’oiseaux des îles ; les teinturiers suspendent au-dessus de la rue leurs laines et leurs soies, encore fumantes de la cuve. Depuis des centaines d’années, le marchand de dattes, de noix, d’amandes, de henné, pareil à quelque idole rustique, trône au sommet de ses denrées, sa cuiller de bois à la main, pour servir de loin le client ; des forgerons dignes de Velasquez, le torse nu, les cuisses nues, déjà sombres de peau, rendus presque noirs par la poussière du charbon, ruissellent de sueur devant leur forge, et dépensent la force d’Hercule pour battre quoi ? le petit fer d’un âne ; des enfants pleins d’adresse, gracieux en dépit de la teigne qui les ravage presque tous, tiennent jusqu’au milieu de