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Avons-nous, par exemple, reçu une lettre d’un indulgent confesseur, pleine des grâces de son âme, nous célébrons les beautés de la nature humaine. Avons-nous appris que, sans motifs, C… m’a injurié en pleine Académie, ou qu’une iniquité de plume ou d’action a été accomplie dans notre France, nous dissertons sur les défaillances humaines, et, en s’épanchant, notre mélancolie s’évapore. Au retour, pendant que Thérèse s’occupe du petit, je vais m’asseoir à côté du paralytique et je passe une heure à le distraire : c’est l’heure du prochain.

Avec tout cela quatre heures et demie sont arrivées. Alors nous nous enfermons et je travaille avec véhémence jusqu’à huit heures du soir : c’est l’heure féconde. Nous nous interrompons à huit heures pour une collation. Après quelques instants de repos, nous commençons la lecture en commun. Nous avons lu successivement les Provinciales, le Discours sur l’Histoire Universelle, le Siècle de Louis XIV, les Études de Mérimée sur Rome. Maintenant et pour longtemps nous en sommes à ce livre unique, dans lequel Tacite et Molière sont réunis : les Mémoires de Saint-Simon. L’heure du repos arrivée, nous envoyons un souvenir aux parents et aux amis et nous remercions Dieu.

Comprenez-vous maintenant combien vos lettres sont les bien reçues ? C’est le plus doux écho que puisse nous envoyer la patrie.


A Madame d’Agoult

Pollone, 18 décembre 1871.

Chère Madame,

Vous avez bien fait de ne pas m’envoyer Littré, Courcelles-Seneuil et tutti quanti. Je n’aurais pas lu ces profonds docteurs. A mon avis, il n’y a d’instructif sur la politique que les livres de ceux qui ont agi et supporté la responsabilité. Ce sentiment de la responsabilité crée vraiment en nous une nouvelle âme, et en outre on ne connaît les choses dans leur réalité que lorsqu’on on est le conducteur : le spectateur le plus éclairé ne peut deviner. Quelle action peut exercer par exemple sur mon esprit l’avis de M. Littré ? S’il s’agissait de grammaire, à la bonne heure, mais sur une question politique ? Le pauvre savant n’y entend rien. La moindre ligne du plus mince