Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/740

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


A l’Empereur Napoléon III.

Pollone, 8 juin 1871.

Sire,

Si vous étiez sur votre trône, je ne vous dérangerais pas pour vous annoncer un événement de ma vie privée. Mais il me semble qu’actuellement, c’est vous envoyer un témoignage d’attachement que de vous annoncer que ma femme vient de me donner un fils. Dieu lui fera la grâce, je l’espère, de travailler à la régénération de sa patrie.

Je lis dans les journaux que Votre Majesté songe à abdiquer en vue des événements futurs. Il y a, en effet, dans le nom de Napoléon, une puissance qu’il est difficile de croire épuisée. Guizot l’a dit : « L’expérience a révélé la force de ce nom. C’est beaucoup d’être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire fit un principe d’autorité. Il y a là de quoi survivre à de grandes fautes et à de longs malheurs. » Mais quels que soient les événements, croyez-m’en, ne vous condamnez pas vous-même par une abdication, qui, d’ailleurs, ne faciliterait rien. Gardez le titre que vous avez mérité par tant de services rendus à la France, au peuple, à la civilisation.

Quoi qu’il arrive, restez jusqu’au bout l’Empereur. Stantem mori oportet.


A Mme Singer.

Pollone, 14 juin 1871.

Je n’ai jamais menti de ma vie et si Thiers m’avait dit que nous n’étions pas prêts, j’en conviendrais volontiers. Mais je l’affirme sur l’honneur, jamais il ne m’a rien dit de pareil. Du reste, depuis que l’affaire Hohenzollern s’est compliquée, je n’ai causé avec lui qu’une fois en présence de quelqu’un qui confirmera mon démenti. M. Thiers se trompe[1]. Je n’ai rien dit et je ne dirai rien de très longtemps, mais le temps de dire viendra. Je ne veux pas prononcer une parole qui soit de nature à affaiblir ceux qui tiennent le pouvoir. Je consens encore à

  1. L’Empire libéral donne les lettres de tous les membres du Cabinet du 2 janvier, affirmant que M. Thiers ne leur a jamais dit que nous n’étions pas prêts.