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Je ne sais encore quand je reviendrai (dans le Midi). On me dit que je suis toujours l’objet de la haine universelle. J’attends donc que des jours plus calmes soient venus et que les gens sensés se soient rendu compte que ce n’est ni l’Empereur ni moi qui avons voulu la guerre, que c’est la Prusse qui l’a voulue, cherchée, qui nous y a contraints, et que l’Empereur et moi avons fait tout ce qui est humainement possible pour l’éviter.

Quant à vous, restez tranquille. Ne prenez même pas la peine de me défendre ; ce serait inutile : c’est un torrent qu’il faut laisser tarir sans essayer de l’arrêter.


A Monsieur Amédée de Jonguières.

21 février 1871.

Cher ami,

Ne croyez pas que j’aie été insensible à votre bonne lettre ou blessé par sa franchise. Aucune franchise ne m’a jamais blessé et celle de mes amis n’a eu pour résultat que de m’attacher davantage à eux. Seulement je suivrai votre conseil, et, même pour vous répondre, je ne rentrerai pas dans le domaine politique d’où j’espère être sorti pour bien longtemps, sinon pour toujours. Si l’Empereur a commis des fautes, est-ce le moment de les relever ? n’est-il pas plus généreux de ne se rappeler que ses bonnes et grandes qualités, son humanité, sa douceur, sa bonté, son amour de la France et du peuple, le courage avec lequel il a renoncé à son pouvoir personnel, et surtout ses malheurs, les injures dont on l’accable, les trahisons dont on l’entoure, les infamies qu’on accumule contre lui ? Pauvre, pauvre homme ! Moi, je lui pardonne tout et je n’ai pu retenir mes larmes en lisant sa dernière proclamation qui est simplement admirable.

J’ai bien souffert à contempler les désastres de la patrie et chaque coup qui atteignait nos malheureux soldats me retentissait au cœur. J’ai cru que je ne m’en relèverais jamais. C’est l’injustice qui m’a rendu à moi-même. Quand j’ai appris que, de tous côtés, on m’accusait, on me poursuivait de haine et de calomnies, qu’on voulait faire retomber sur moi seul la responsabilité d’une guerre que j’avais tout tenté pour éviter, je me suis révolté, et cette révolte m’a soulevé de terre, redonné le