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médiocrement de ce qu’elle pense de moi. Voilà bientôt six mois que je vis seul, sans voir personne, méditant, travaillant, et savourant la vérité de la parole de l’Imitation : Cella continuata dulcescit. Si j’avais de quoi vivre sans travailler, je resterais ainsi jusqu’à la fin de ma vie. Malheureusement n’étant point dans cette situation, il faudra que je revienne aux réalités : ce sera dur. Si j’étais moins engagé dans les choses publiques, je renoncerais pour toujours à la vie publique. Je m’en tiendrai éloigné le plus que je le pourrai ; et grâce à mon impopularité, ce sera très long : mais dès qu’un devoir se présentera à moi, et que je pourrai rendre service à cette pauvre Patrie, que j’adore d’autant plus qu’elle est malheureuse, je sacrifierai mon repos, ma santé, ma fortune ; quel que soit le dégoût que j’ai pour les luttes politiques, j’y rentrerai courageusement.

Le mieux eût été de ne pas faire une révolution et de ne pas joindre les calamités d’une guerre intérieure à celles d’une lutte extérieure. Maintenant ce qu’il y aurait de mieux, ce serait d’essayer consciencieusement une république sensée, avec deux Chambres non permanentes, un président. Les excès des démocrates, les intrigues des partis, les instincts monarchiques du pays le permettront-ils ? Quant à moi, mon parti est pris ; quel que soit le gouvernement que la France se donne, je l’aiderai, je le seconderai. Jamais je ne serai le complice d’une révolution. A mes yeux, ce serait une scélératesse. Cette conduite n’est nullement incompatible avec une fidélité personnelle à l’Empereur, le seul du régime pour lequel j’éprouve un sentiment affectueux. Comme je le plains, ce pauvre homme ! Quelles fautes ne seraient pas effacées par l’expiation qu’on lui impose ! L’a-t-on assez outragé, méconnu, vilipendé, déchiré, calomnié depuis plusieurs mois ; après l’avoir tant adulé, célébré, acclamé !

Je ne forme aucun projet : de quelque temps encore, je ne puis penser à rentrer en France : la haine universelle s’attache trop à mon nom. J’attendrai. Cela passera comme tant d’autres choses…


Au duc de Gramont.

Moncalieri, 17 janvier 1871.

Je reçois votre lettre parfaitement intacte et je vous remercie du télégramme. Tant que je ne pourrai pas étudier toutes