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A Robert Mitchell, prisonnier en Allemagne.

Moncalieri, 23 décembre 1870.

Je ne sais si je dois désirer votre échange. Je suis si épouvanté du désordre qui règne dans l’action française ! Je ne puis comprendre que les républicains aient si mal pris leur temps pour faire une révolution. Si l’on voulait continuer la guerre, un gouvernement établi y eût eu bien plus de facilités, et en un mois il eût obtenu plus de ressources que les démagogues n’en ont mis sur pied depuis quatre mois avec une déperdition de forces incalculable !

Je comprends encore moins Bismarck. Je le croyais un grand esprit, un Cavour : ce n’est qu’un emporté. Comment n’a-t-il pas saisi la chance unique de belle immortalité qu’il a eue à Sedan ? Supposez-le à ce moment offrant la paix, sans demander ni la Lorraine ni l’Alsace. La France se le serait tenu pour dît et la paix était assurée pour plusieurs générations ; la Prusse avait à la fois la gloire du présent et celle de l’avenir. Ah ! si la Fortune nous avait souri, comme j’aurais autrement usé de la victoire ! comme je me serais borné à demander le désarmement des hommes et des forteresses ! Je ne sais pas pourquoi Dieu m’a maudit assez pour me refuser l’occasion de témoigner à notre ennemi le Prussien une magnanimité égale à celle que j’ai montrée à l’Empereur mon persécuteur. Je ne murmure pas, je me soumets, je me résigne : je ne méritais sans doute pas ce bonheur ; il est réservé à un autre. In manus tuas, Domine.


A Monsieur le comte de Beust.

Moncalieri, 23 décembre 1870.

Monsieur le chancelier,

J’aurais besoin des documents que vous avez communiqués à vos Chambres, et comme je ne connais personne à Vienne, je prends la liberté de vous prier de me les faire expédier.

Quelle belle occasion vous avez laissé perdre de venger la désastre de Sadowa ! La France, si la guerre continue à lui être défavorable, ne sera affaiblie que pour un temps. Mais, quelle