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Supposons que l’Allemagne n’ait pas été vaincue. Qu’aurions-nous eu, ou qui aurions-nous eu devant nous? L’Empereur allemand, bien entendu; mais non pas l’Empereur isolé, solitaire en sa majesté : l’Empereur dans l’Empire et avec l’Empire; c’est-à-dire l’Empereur allemand, les princes allemands, le peuple allemand; pratiquement, constitutionnellement, l’Empereur et son gouvernement, son chancelier, ses ministres, ses représentants de tout ordre; le Bundesrath, Conseil fédéral, assemblée des plénipotentiaires des princes ; le Reichstag, parlement de la nation. Au contraire, l’Allemagne est battue, Guillaume déserte, les trônes s’écroulent. Qu’est-ce qui échappe à ce grand naufrage, ou qu’est-ce qui remonte de l’abîme, et à qui allons-nous donc parler? Plus de Reich allemand impérial, mais un Reich allemand républicain; au lieu d’un président qualifié empereur, un président ainsi qualifié, mais plus empereur peut-être que l’autre, en ceci du moins qu’à côté de lui on n’aperçoit pas, ailleurs que sur le papier d’une constitution provisoire, le moindre organe fédératif. Si bien que l’Allemagne aussi est beaucoup plus l’Allemagne qu’elle ne l’était du temps de l’ancien régime; ce n’est plus une union qui se cherche dans le Bundesrath; c’est une unité qui s’affirme dans l’Assemblée nationale de Weimar.

Il faut lui rendre cette justice qu’en son désastre elle n’en a point perdu le sens; son unité est la première chose qu’elle s’est efforcée de sauver; d’où la hâte même qu’elle a mise à convoquer cette assemblée et l’énergie qu’elle déploie pour imposer ses directions. Lorsqu’il s’agit de négocier, le président Ebert et son chancelier Scheidemann, au nom du Reich républicain, détachent aux Puissances alliées et associées le comte de Brockdorff-Rantzau, diplomate prussien, renforcé de ministres prussiens, tandis que l’armée prussienne, sous Noske, après avoir, en Prusse même, étouffé les dissidences, fait la police de la Saxe et la conquête de la Bavière. C’est ce qui, naturellement, organiquement, pour ainsi dire, vient se concréter dans la formule : « Et l’Allemagne, d’autre part. »

Par une espèce de réaction spontanée, l’Allemagne, dès qu’elle s’est sentie chanceler, a tâché aussitôt de se couvrir en ce point vital : son unité. Mais nous, c’est précisément là que, d’un mouvement aussi rapide, nous aurions dû porter la pointe. Nous aurions dû profiter de ce qu’en fait il n’y avait plus de Bundesrath en Allemagne, l’ancien Conseil fédéral s’étant dissous et ce qui doit en tenir lieu dans la nouvelle constitution étant informe encore, pour exiger la présence, la mention et la signature au traité, des États particuliers: