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prenant leurs ébats auprès des parterres de myosotis, ressemblent presque à une gentille troupe d’écoliers en vacances.

C’est exactement à 3 h. 3 que les membres de la délégation allemande descendent de leurs automobiles pour gravir le perron de l’hôtel Trianon, et pénétrer dans la galerie qui conduit à la salle du Congrès. D’un geste courtois et mesuré, sans rien dire, le directeur du protocole, introducteur des ambassadeurs, debout, tête nue, au haut du perron, a répondu poliment au salut automatique, gêné, des plénipotentiaires d’outre-Rhin et leur a fait signe de le suivre. Le doyen des huissiers du ministère des Affaires étrangères, correct et impassible, très décoratif avec sa face rasée, son habit noir, sa chaîne d’argent au cou, son épée au côté, sa culotte courte et ses bas de soie, son bicorne sous le bras droit, marche devant le cortège. Ce respectable doyen rappelle seul par son costume, par son allure, par une sorte de majesté répandue dans toute sa personne, l’époque des diplomates du Congrès de Vienne et le temps lointain où le prince de Talleyrand réglait en personne tous les détails de l’étiquette des chancelleries. Toutefois, rien n’a été négligé pour que les plénipotentiaires ennemis fussent traités avec tous les égards compatibles avec l’état de guerre que l’armistice a suspendu, et qui ne prendra fin qu’après la signature de la paix. A l’Allemagne, qui n’a pas montré plus d’humanité dans ses victoires éphémères que de dignité dans sa défaite finale, la France et ses Alliés épargneront les humiliations dont les Allemands vainqueurs n’eussent pas manqué de nous accabler. Bismarck, au mois de septembre 1870, dictait à son secrétaire, Moritz Busch, les pages féroces de ses Mémoires, où l’on voit que Jules Favre, au sortir des entretiens du château de Ferrières, « avait l’air égaré, abattu, presque au désespoir ; » que ce pauvre homme « poussait de profonds soupirs, levait les yeux au ciel », que même « il s’était maquillé, » et cent autres traits du même goût. Nous ne sommes pas de ceux qui disent avec le cynique chancelier du Kaiser Guillaume Ier : « En politique, il n’y a pas de place pour la pitié. »

Aurions-nous pu compter sur la pitié du comte Ulrich von Brockdorff-Rantzau, si la marche du général von Kluck à travers la Belgique, le mouvement du prince Ruprecht sur la frontière des Vosges, la ruée du Kronprinz sur Verdun avaient abouti, selon les directives du grand état-major de Berlin, à l’encerclement de la France, à la prise de Paris, à une autre paix de Versailles, achevant par notre ruine totale les catastrophes de l’Année terrible ? On en peut douter,