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futaies et des charmilles compose à l’arrière-plan d’un drame plein d’images émouvantes un décor fait à souhait pour le plaisir des yeux. Tout cet espace libre donne une impression d’affranchissement. La vue s’étend au loin, en de riantes perspectives, au-delà du lieu pathétique et de l’instant solennel, par les échappées d’un parc aux profondeurs mystérieusement belles. On voit des ondulations de pelouses fraîches, un frémissement de feuillages touffus, un luxe de verdures neuves et de floraisons printanières, comme si la nature éternelle et de nouveau rajeunie voulait mêler aux derniers actes de l’immense tragédie, proche du dénouement, les consolantes images du rendu véhément et de la renaissance.

Les tables des plénipotentiaires sont recouvertes de drap vert et arrangées en rectangles, conformément aux dimensions de la salle.

Ce que les délégués des Puissances alliées voient devant eux, en pleine lumière, au bout de cette vaste salle claire, en face de la table où siège M. Clemenceau, premier plénipotentiaire de France, président de cette assemblée, ce sont les places encore vides, réservées aux envoyés de l’Empire allemand, qui, dans quelques minutes, viendront demander la paix dans cette même ville de Versailles où fut célébré en grande pompe, il y a quarante-huit ans, le triomphe insolent des Hohenzollern.

Dès qu’on a su, par téléphone, que le colonel Henry, chef de la mission française auprès de la délégation allemande, a quitté l’hôtel des Réservoirs, amenant dans quatre automobiles, les six délégués, Mme le comte de Brockdorff-Rantzau, ministre d’Empire pour les Affaires étrangères, le docteur Landsberg, ministre d’Empire à la Justice, M. Johann Giesberts, ministre d’Empire pour les Postes, le premier bourgmestre Leinert et le docteur-professeur Walter Schücking, on a vu aussitôt notre directeur du protocole, M. William Martin, introducteur des ambassadeurs, se diriger vers l’entrée de l’hôtel, sous le péristyle, afin d’y remplir, avec son tact habituel et sa correction coutumière, les devoirs d’une charge qui jamais n’exigea de ce diplomate, expert en l’art des nuances, un sens plus délicat de la parole à dire, du silence à observer ou du geste à faire.

En même temps, les hommes de la compagnie d’honneur, n’ayant plus à présenter les armes à personne, se retirent par files à droite, au commandement du lieutenant Pietri, qui leur accorde un bon moment de pause et de récréation dans le beau jardin vert où les petits chasseurs bleus, casqués d’acier, ayant formé les faisceaux et