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« intéressante ; » il a pitié des « misérables petites vies » que traînent ses camarades, officiers comme lui, dans des villes de garnison. Vignerte méprise la mélancolie de Musset, probablement aussi la tristesse d’Olympio et tout cela qui est du temps perdu : il estime les adolescents de Balzac, venus de province à Paris, bien résolus à conquérir la capitale. Saint-Avit ne hait pas Fabrice de la Chartreuse de Parme et n’écarte le souvenir de ce hardi garçon que pour n’avoir pas l’humiliant chagrin de l’imiter. Vignerte et Saint-Avit ne consentent à imiter personne et toléreraient mal la pensée que le monde est vieux et qu’on y recommence toujours la même aventure à peine un peu changée par l’effort de chacun. Saint-Avit s’est échappé du programme qu’Antinéa inflige à ses amants. A-t-il peur de mourir ? Mais non ! C’est l’assurance de mourir et c’est le programme si régulier qui lui semble fastidieux. Sa fuite ne le dispense pas du risque de mourir et lui remplace une certitude morne par le risque, plus aguichant. Une petite négresse, Tanit-Zerga, plus belle que la nuit, l’accompagne et meurt dans le désert atroce illuminé de mirages. Un couteau de chasse est l’instrument qu’il emploie pour creuser une fosse dans le sable : « Quand tout fut prêt, je voulus revoir le cher petit visage. J’eus une courte défaillance. Vite, je ramenai sur la face brune le haïk blanc et je déposai dans la fosse le corps de l’enfant… » C’est un peu la mort d’Atala ; c’est un peu la mort de Manon Lescaut. Saint-Avit, par bonheur, n’y songe pas : autrement, il n’aurait point enseveli Tanit-Zerga. Mais Gale, une mangouste, avait suivi Tanit-Zerga dans le désert : « Et je voulus la caresser. Elle me mordit la main, puis, ayant sauté dans la fosse, se mit à gratter, écartant furieusement le sable… » De sa carabine, Saint-Avit tue la mangouste ; puis il la couche sur le cou de Tanit-Zerga. Et ce ne sont plus les funérailles d’Atala ou de Manon Lescaut : la nouveauté de la vie et de la mort est sauvée ! Saint-Avit retournera au palais d’Antinéa, mourir après un temps de brèves délices : « Je ne veux, dit-il, rien savoir d’autre, ni si les champs fleurissent, ni ce qu’il adviendra du simulacre humain. Je ne veux pas le savoir. Ou plutôt, c’est parce que j’ai une vision trop exacte de cet avenir que je prétends m’anéantir dans la seule destinée qui en vaille la peine : une nature insondée et vierge, un amour mystérieux… » Vignerte et Saint-Avit sont de jeunes hommes que leur énergie amuse et qui pratiquent éperdument cette vertu, célèbre dans l’Italie de la Renaissance : la virtù, qui n’est pas ce que les personnes douces et craintives entendent par la vertu.

Je me souviens qu’au début de la guerre, dans une réunion d’amis,