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réputation d’adversaire heureux de Napoléon. Malheureusement, son prestige, grandi dans le mystère des chancelleries, s’évanouit bientôt au grand jour des discussions publiques.

A défaut d’un ministre, la direction morale du Congrès aurait-elle pu être prise par l’un des chefs d’Etat venus en personne à Vienne ? L’opinion se félicitait à l’avance, comme d’une heureuse innovation, de l’impulsion que leur influence ne manquerait pas d’imprimer aux travaux de l’assemblée. Parmi eux, elle espérait beaucoup d’Alexandre, qui y arrivait avec l’auréole de libérateur de l’Europe, en était resté l’idole et aspirait à en devenir le restaurateur. A l’épreuve, sa présence à Vienne apparut bientôt comme un embarras plutôt que comme un stimulant. Il y apportait, en effet, la prétention d’avoir été le seul souverain de la coalition à faire la guerre pour une idée, puisqu’il l’avait prolongée deux ans après avoir repoussé l’invasion et épuisé ainsi son unique grief contre Napoléon. Il s’en prévalut pour afficher à Vienne des exigences dont l’étendue ne tarda pas à contraster trop visiblement avec l’insuffisance des titres personnels qui auraient pu les justifier.

Il avait sans cesse à la bouche les expressions d’ « idées libérales » ou de « lumières du Siècle ; » mais il hasardait en même temps des déclarations comme celle-ci : « Les convenances de l’Europe sont le droit ; » ou encore : « Vous me parlez toujours de principes ; je ne sais ce que c’est. » A l’entendre, son unique préoccupation eût été le « bonheur des peuples, » au moins des peuples d’Occident ; mais, séparé d’eux par la largeur de l’Europe comme par la distance d’une civilisation, il ne connaissait leurs besoins qu’à travers des rapports intéressés ou des idées préconçues. Il affectait un caractère chevaleresque, une fidélité à toute épreuve à sa parole, un dédain profond pour les « scribes » ou les « diplomates » et répétait volontiers : « Je ne suis qu’un soldat et je n’entends rien à la politique. » Cette profession de foi lui servait tour, à tour à se dérober aux argumentations trop pressantes et à justifier un entêtement qui n’excluait, ni un sens très averti de ses intérêts, ni même des volte-faces utiles à ses projets. Aussi sa popularité subit-elle une éclipse dont la soudaineté contraste singulièrement avec l’enthousiasme qui l’avait d’abord accueilli. Pendant les derniers temps de son séjour, le gouvernement autrichien se vit forcé, pour lui épargner les insultes de la foule, de